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Fausse victoire de Merkel, vraie faillite du SPD

Publié le par Stéphane GOMEZ

Fausse victoire de Merkel, vraie faillite du SPD

Sylvain Lapoix - Marianne | Dimanche 27 Septembre 2009 à 19:48

Avec le 2è plus mauvais score de l'histoire de la CDU, Merkel remporte les élections au Bundestag, suivie par un SPD exsangue. Gilbert Casasus, professeur à l'université de Fribourg, décrypte les résultats qui confirment la perte de repère politique en Allemagne au profit de la gauche... et surtout des libéraux !

Marianne2.fr : Ce dimanche, la CDU affiche un score de 33% aux élections du Bundestag, très en dessous des estimations (qui le plaçait entre 38 et 41) mais qui place tout de même le parti de la Chancelière en tête du scrutin. Quel bilan tirer de ce résultat pour Angela Merkel ?
Gilbert Casasus : Madame Merkel a prouvé qu'elle pouvait gagner des élections en perdant ! Ce n'est pas un bon score mais elle gagne les élections grâce à l'écroulement des sociaux-démocrates. La CDU et le SPD ont perdu mais, comme c'est la SPD qui a le plus perdu, Merkel gagne son pari de gouverner avec les libéraux. Les deux grands partis qui ont été les formations phares depuis 1949 ont fait l'un des pires scores de leur histoire.

« Avec la CDU et le SPD, ce sont les piliers du système fédéral
tel qu'il s'est construit depuis 1949 qui s'effondrent. »

Ces piliers du système fédéral perdent pied. La CDU aurait le 2è plus mauvais score, après 1949. Le SPD, lui, fait le plus mauvais résultat depuis sa création ! Il y a une perte totale de repères politiques, c'est un tremblement de terre. On le savait depuis un bon bout de temps : depuis 2005, on a déjà vu ce phénomène. Schröder gagne en 1998 avec 40% : son parti a vu son score fondre. Ces élections marquent un tournant extrêmement important pour l'Allemagne.

A l'opposé de ces deux résultats en dessous des prévisions, les libéraux marquent des points : avec 14,5% des voix, c'est le troisième parti de ces élections. Comment leur score peut-il influer sur la politique allemande ?
Les libéraux sont les grands vainqueurs ce soir, ce qui est d'autant plus surprenant que, en pleine polémique sur les dérives du capitalisme, ils incarnent le libéralisme le plus entier. Le FPD a toujours été d'obédiance néolibérale, même s'il a modéré son discours, notamment pendant cette campagne. Cette victoire aura une importance considérable dans le gouvernement à venir : Mme Merkel est restée prudente alors que Guido Westerwelle, chef du FPD, a demandé des baisses d'impôts importantes. Nous ne sommes plus au temps d'Helmut Kohl, où la CDU dominait nettement, nous sommes dans un rapport de force 33-14. Mme Merkel devra donner raison aux libéraux sur certains points, notamment sur la politique fiscale.

« Merkel sera obligée de donner raison aux libéraux sur certains points,
notamment sur les baisses d'impôts. »

Or ces choix risquent d'entrer en contradiction avec les conclusions du G20 ou, plus frontalement, avec la politique des voisins européens : que vont devenir les critères de Maastricht si l'Etat fédéral laisse filer les déficits publics et réduit les impôts ? Quant à l'euro, si le dollar n'était pas aussi affaibli, il serait la seconde victime d'un tel virage dans la fiscalité allemande.

En quatrième position, la formation de gauche Die Linke, d'Oskar Lafontaine, réalise également un bon score, avec 13% des voix. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur la gauche allemande ?
Le score de Die Linke préfigure la remise en cause totale de la stratégie du SPD : leur stratégie politique interne, la gestion des Länder... tout est bousculée pour les sociaux-démocrates ! C'est la fin de l'ère Schröder. Le maire de Berlin, Klaus Wowereit, qui fait alliance avec la Linke, vient de prendre la parole pour dire qu'il faut changer de politique : cette aile gauche va forcément monter. Pour beaucoup d'électeurs allemands, elle incarne la gauche sociale : les premiers chiffres montrent que c'est le parti le plus plébiscité par les chômeurs.

« La Linke révèle l'effondrement du SPD :
les socio-démocrates vont essayer de regagner ces voix et l'aile gauche du parti va en être renforcée. »

La Linke a bénéficié des faiblesses sociales du SPD. Or, désormais, les sociaux-démocrates ne vont avoir de cesse que de récupérer les électeurs partis à gauche. Ils ont payé très très cher les lois antisociales de 2002-2003, quand Schröder a eu à faire face à des déficits abyssaux. En cela, il n'a fait que payer la réunification. En Autriche, le même phénomène s'est produit, où les sociaux-démocrates ont perdu 12 à 13 points. Il y a des parallèles avec la crise du PS en France : quelles réponses donne la social-démocratie au citoyen européen face à la crise ? Elle n'en donne pas beaucoup et seul le SPD et le PS ne l'ont pas compris.

La crise a-t-elle beaucoup joué dans l'effondrement du SPD, qui est l'élément central de ce scrutin?
En Allemagne, il y a eu une perception différente de la crise par rapport à l'autre côté du Rhin. En France, une demande est apparue, relayée par l'UMP, de mettre fin aux abus du capitalisme, d'essayer de limiter ses effets négatifs... En Allemagne, c'est un égoïsme social qui a émergé : « tant que je ne suis pas touché par la crise, tout va bien ». Nous avons eu là un glissement personnel et politique vers un replis sur soi. Une anecdote : en juillet, j'étais à Munich, la ville la plus riche d'Allemagne. Dans la zone piétonnière, j'ai été dans une enseigne de grand magasin célèbre : la boutique était dans un état pitoyable, digne de l'Allemagne de l'Est ! Il risquait de fermer. J'ai demandé à une vendeuse ce qu'il en était de son avenir : elle m'a dévisagé comme si je l'avais insulté, me jetant des reproches au visage, elle croyait que je me moquais d'elle, de sa situation. C'est ça l'égoïsme social !

« La réaction a la crise en Allemagne a été très différente de la France :
il s'y est développé un égoïsme social. »

 Vingt ans après, le Mur n'en finit pas de tomber Au final, dans cette élection, ceux qui n'ont pas eu de profil clair ont perdu : le SPD, la CDU et les Verts. A l'inverse, die Linke et les libéraux se sont affirmés en marquant leur différence. Merkel ne s'est pas du tout imposée, contrairement à ce qu'on pouvait attendre d'un Chancelier sortant : elle a fait deux points de moins que quand Kohl a perdu les élections. Elle est peut-être la femme la plus puissante du monde pour le magazine Forbes (et aussi pour l'Express, ndlr) mais, avec un résultat pareil, elle va surtout être une femme très faible dans sa coalition.
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