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Nous avions oublié que la Gay Pride est politique

Publié le par Stéphane GOMEZ

Nous avions oublié que la Gay Pride est politique

Par DORY MANOR poète et traducteur, dirige la revue littéraire Ho !. Il vit à Tel-Aviv (Israël).

 

Nous avons trop aspiré à la normalité, la normalité à tout prix. Nous nous sommes efforcés d’être plus musclés, plus virils et plus accomplis que les hétéros, afin de gagner le ticket si convoité pour intégrer la société normative. Nous sommes devenus aussi vulgaires que les autres, aussi rudes, aussi racistes que les autres. Nous avons fermé les yeux sur les injustices que subissent d’autres minorités en Israël et nous avons célébré nos victoires lors de fêtes arrogantes et aveugles.

 

Nous avions oublié que la Gay Pride est une manifestation politique. Nous avions oublié que cette marche n’est pas destinée à exhiber ses plaquettes de chocolat et même pas seulement à légitimement revendiquer l’égalité absolue des droits, mais qu’elle doit d’abord être le moyen de lutter contre l’homophobie qui ne cesse de s’exprimer. Et pas seulement de la part de membres rétrogrades de la Knesset (qu’ils soient religieux ou laïques) ou d’internautes profitant de l’anonymat pour cracher leur hargne, mais également au sein de la «Bulle», en plein cœur de Tel-Aviv, parmi nous (un centre gay a été touché par un attentat homophobe, le samedi 1er août, ndlr).

 

La haine de l’étranger, de la différence, la haine du faible : ces fléaux noient notre communauté dans une vague de boue, comme ils noient la société israélienne dans son entier.

 

La voix de nos porte-parole, des dirigeants de la communauté gay, lesbienne, bi et transgenre ne se fait presque jamais entendre dans les débats publics quand ceux-ci n’ont pas de rapport immédiat avec la communauté. Nous nous sommes tus sur la question des manquements aux droits de l’homme engendrés par l’occupation des territoires et par le capitalisme néolibéral, dont les dégâts sont omniprésents dans notre société.

 

Nous n’avons pas bronché face aux manifestations de racisme à l’égard des Palestiniens, des femmes ou des travailleurs immigrés. «Pas de politique», déclarions-nous. «Pas de politique», comme on dit dans toute famille israélienne autour de la table du vendredi soir. Et nous ne savions pas où ce refoulement allait nous mener.

 

Au sein même de notre communauté, nous ne nous sommes pas mieux comportés : nous n’avions de cesse de rejeter tout ce qui ne répondait pas à l’injonction de normalité et d’uniformité apparente. Nous considérions avec dégoût les homos efféminés, les lesbiennes viriles et les transsexuels. Nous rejetions les homosexuel(le)s arabes, les religieux, les immigrés et ceux qui n’osaient pas sortir du placard. Nous nous écartions des vieux, des pauvres, des moches. Nous proclamions comme un miracle l’avènement de piètres héros - les winners, les présentateurs vedettes - et nous nous fichions royalement des artistes, des poètes et des intellectuels.

 

«Fermez-la, bandes de tapioles frustrées», s’est écrié un participant de la manifestation qui a descendu le boulevard Rothschild le lendemain de l’attentat, un beau soldat en uniforme de l’armée de l’air, à un petit groupe de militants de gauche qui perturbait le discours de Tzipi Livni en scandant des slogans contre l’occupation des territoires. Effectivement, pourquoi crient-ils ainsi ?

 

Pourquoi font-ils de la politique alors que nous sommes en passe d’atteindre l’égalité complète, et que celle-ci est déjà acquise dans bien des domaines ? Alors que le Premier ministre lui-même dénonce l’horrible tuerie et que le ministre de l’Education prononce, quoiqu’en articulant à peine, les mots sans équivoque de «gay» et «lesbienne».

Eh bien, nous avons vu ce samedi soir-là le résultat tragique de cette autosatisfaction. Il est temps de se rappeler que la lutte pour les droits civiques ne peut être menée sans un combat simultané pour les droits de l’homme. Que la guerre contre le racisme en général et contre l’homophobie en particulier est la raison première de se réunir et de défiler à la Gay Pride.

 

Il est temps de cesser d’aspirer à la normalité à tout prix, et de nous réjouir de ce que nous sommes : non pas la majorité, mais une minorité.

 

Traduit de l’hébreu par Gilles Rozier.

Source: Libération.

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