Lettre ouverte aux militants socialistes
Les militants socialistes vont bientôt devoir choisir leur candidat à l’élection présidentielle. C’est tout à l’honneur du Parti Socialiste que d’avoir permis un tel débat, si rare en France ; c’est précisément parce que ce parti a posé si haut et si justement des exigences formelles de démocratie interne qu’il est comptable, devant la Nation, de l’avancée réelle de l’idéal démocratique dans la société tout entière. Or, la démocratie est en crise, en Europe notamment, car, durant près de trois décennies, on a accrédité l’idée que la politique ne pouvait plus rien, ou, plus exactement, que l’eurolibéralisme valait politique pour les peuples d’Europe.
Il est vrai, qu’au début des années 1980, la première expérience vraiment socialiste française après 1945, s’est faite alors que, partout, les politiques préparaient ce qu’on ne nommait pas encore « mondialisation ». Laurent Fabius a été ce jeune ministre qui, en 1981, a participé à une vraie politique de redistribution de la richesse, même si, comme beaucoup de gens de gauche, il s’est convaincu, à tort, que les conditions politique et économique du moment réduisaient l’action publique à n’être plus, de facto, qu’un accompagnement des dommages causés par la libéralisation des marchés. Comme tant d’autres, il a cru que la seule construction européenne permettait de retrouver des marges d’action, supposées totalement perdues au niveau national. Toutefois, comme peu de politiques, il a tiré les conséquences des défauts de la construction européenne qui, loin de redonner aux peuples de la puissance politique, ne faisait qu’organiser les marchés, sans égard pour la société. Comme trop peu de responsables, il a compris les deux leçons du 21 avril 2002 et du 29 mai 2005, qui ne faisait qu’exprimer le désir d’un peuple qui attendait que la politique façonne, comme il est normal, notre dessein collectif pour le bien commun, bref que l’économie redevienne un moyen de l’activité humaine et non sa finalité.
On a osé, alors, durant la dernière campagne référendaire, dire qu’il n’était pas « sincère » dans ses convictions, cependant qu’on ne disait pas de ses détracteurs et défenseur du « oui » à cet improbable traité qu’ils étaient opportunistes ! Et pourtant : longtemps, les sondages ont donné, sans équivoque possible, le « oui » gagnant … N’aurait-on pas dû, plutôt, se féliciter qu’un homme politique, enfin, comprît le désir politique du peuple ? Et puis d’ailleurs, on ne fait pas de la politique sur des procès d’intention : on doit se fonder sur le sérieux des engagements, des actes et des alliances.
Il faut soutenir Laurent Fabius parce qu’il a su tirer les leçons de certains échecs du passé pour proposer un autre avenir : les deux autres prétendants n’ont pas su, que je sache, tirer vraiment de telles leçons. L’un d’eux parle, de façon vague, d’ « internationalisme », comme si on pouvait construire quelconque internationale sans les nations, voire contre elles, comme si, nous républicains laïcs, devions nous soumettre à ces nouveaux cléricalismes et communautarismes dont l’Union européenne, sous sa forme actuelle, est porteuse. Une autre prétendante à l’investiture du Pari socialiste affirmait, il n’y a pas si longtemps, qu’il fallait militariser l’éducation des jeunes délinquants multirécidivistes, alors que celui qui est devenu son porte-parole disait, fort justement à ce moment, que le rôle exclusif de l’armée était de défendre la nation et nos alliés.
Il nous faut beaucoup de cohérence et de sérieux : Laurent Fabius n’en a jamais manqué. De plus, il fut Premier ministre assez jeune, ce qui lui a donné l’expérience nécessaire pour affronter les périls internationaux de l’heure. Pensons simplement au sang-froid nécessaire dans un monde ou, plus que jamais, la question nucléaire pose le problème politique essentiel : la paix ou la guerre ? La grande diplomatie ou l’agitation belliciste, à la Bush, dont Blair et Sarkozy ne sont que des variations locales. L’on dira que Laurent Fabius a affronté bien des péripéties dans sa vie publique : justement, le fait qu’il les ait surmontées montre qu’il a envergure d’un homme d’Etat !
De toute façon, chaque voix en faveur de Laurent Fabius permettra de créer un rapport de favorable de façon à ce que la social-démocratie française renoue avec l’idée d’une démocratie forte. De plus, n’oublions pas que si Laurent Fabius était choisi par les socialistes, la plupart de ceux qui, en 2002, voulurent promouvoir l’idée républicaine trop longtemps délaissée en votant pour Jean-Pierre Chevènement, soutiendront Fabius. Il ne fait de doute, en effet, que Jean-Pierre Chevènement ne se présentera pas si ce garant de la laïcité, qu’est Laurent Fabius, est choisi par les socialistes. Parce que les socialistes savent que Jaurès, déjà, définissait le socialisme comme l’achèvement de la République, ne doivent-ils pas soutenir un homme qui n’a pas oublié que, avant d’être socialiste, on est nécessairement républicain ? Enfin, un candidat de la gauche doit rassembler la gauche entière : il faudra gouverner, si la Nation le veut, avec d’autres gauches, les gauches communiste, écologique et radicale. Ce n’est pas en lorgnant d’abord vers un introuvable « centre » de la vie politique de ce pays qu’on convaincra les gens de gauche, déçus par l’abandon de l’ambition politique, de revenir à ce fondement de la vie civique : le vote.
Jérôme Maucourant, économiste, auteur, récemment, d’Avez-vous lu Polanyi ?, éditions de la Dispute, 2005 et « Marché, démocratie et totalitarisme », Le Nouvel Observateur, Hors-Série, novembre 2006.