Qui peut faire gagner la Gauche en 2007?
Lettre ouverte aux nouveaux adhérents
Jacques Généreux
Membre de la direction nationale de NPS et du Conseil national du parti
Chers camarades,
À peine avez-vous rejoint le PS, et déjà vous tenez entre vos mains la clef d’un tournant historique pour le pays et pour l’Europe. Vous êtes en effet 89 000 à avoir adhéré depuis mars, dont 75 000 avant le 1er juin, date limite d’adhésion pour prendre part au vote d’investiture pour l’élection présidentielle. Dans ce vote qui déterminera qui, de Laurent Fabius, Ségolène Royal, ou Dominique Strauss Kahn mènera la bataille contre la droite, c’est vous qui allez faire la différence. Responsabilité plus lourde qu’il n’y paraît à première vue, car il ne s’agit pas seulement de trancher entre trois porte-parole potentiels d’un même projet socialiste, mais de choisir entre deux visions différentes de la politique, des institutions, de la société française, de la construction européenne, du combat contre la droite et enfin de la campagne pour l’élection présidentielle.
Nombre de nos dirigeants, supposant que vous êtes peu au fait du débat politique qui traverse ce parti et toute la gauche européenne, s’efforcent de vous persuader du contraire : l’orientation des socialistes serait censée être identique quel que soit le ou la candidate, et votre responsabilité se limiterait à identifier parmi des prétendants interchangeables sur le fond celui qui est le plus populaire. Ces mêmes dirigeants comptent sur la campagne massive d’adhésion à 20 euros, pour transformer ce qui devrait être un débat politique en un concours de popularité ; ils parient sur l’idée que les nouveaux adhérents se contenteront de désigner le ou la candidat(e) qui sera en tête des sondages, au moment du vote, reléguant ainsi au second plan le débat d’orientation politique qui a divisé les socialistes sur la Constitution européenne. Telle est, en tous cas, l’analyse unanime que font les politologues de ce qui se passe dans notre parti. Vous allez, je n’en doute pas, faire la démonstration qu’il s’y passe quelque chose de bien plus sérieux.
En effet, je crois, pour ma part, que vous avez adhéré avec le souci légitime et méritoire d’apporter votre contribution à la victoire de la gauche en 2007 et pour éviter la répétition de la catastrophe du 21 avril 2002. Il serait donc pour vous singulièrement désespérant de n’avoir été, au bout du compte, que les instruments d’une manœuvre d’appareil assurant le contrôle du parti à ceux qui ont été massivement désavoués par les électeurs de gauche le 29 mai 2005, et conduisant la gauche à un inéluctable échec au printemps 2007. Convaincu que l’immense majorité d’entre vous ne nous a pas rejoint pour cela, mais pour juger en conscience de ce qui peut aujourd’hui sauver le pays du projet antisocial et antirépublicain de Nicolas Sarkozy, je vous propose ici de considérer en toute rigueur le choix dont vous devrez assumer la responsabilité.
Comment éviter une défaite de la gauche ?
Le simple rejet de la droite ne garantit pas l’alternance en faveur de la gauche. Les facteurs de la défaite d’avril 2002 sont toujours aussi actifs. L’électorat populaire n’est disposé à voter socialiste (cf. régionales et européennes) que sur une ligne d’affrontement avec la droite néolibérale. Mais il rejette massivement la position du PS, dès que le parti s’écarte de cette ligne et manifeste la moindre convergence avec la droite (29 mai 2005). La sociologie imaginaire qui avait conduit Lionel Jospin à tenir un discours de séduction des « classes moyennes » et à soutenir des positions ambiguës (fiscalité, retraites, services publics, « projet pas socialiste » !) a été invalidée et lourdement sanctionnée par le vote du 21 avril 2002. Elle l’a été à nouveau le 29 mai 2005 et le sera assurément en 2007 si les socialistes se retrouvent une fois de plus à côté de leur camp, et non à ses côtés dans la bataille contre le Medef et contre l’Europe néolibérale.
Pour être au second tour, en l’absence de candidature unitaire à gauche, il faudra mobiliser la totalité de l’électorat socialiste et cela n’est possible qu’en tournant le dos à la stratégie suicidaire de 2002. Une fois passé le premier tour, pas une seule voix de gauche ne devra manquer au candidat socialiste. Et, là encore, deux options se présenteront : faut-il rassembler l’électorat de gauche, ou bien séduire d’hypothétiques électeurs centristes en faisant droit aux thèmes de campagne de la droite ? Certes, il ne faut pas laisser à la droite le monopole de l’expression sur la sécurité ou l’immigration. Mais les socialistes ne peuvent en ces matières que dénoncer l’insécurité croissance engendrée par la politique soi-disant sécuritaire de Sarkozy, proposer un développement partagé avec les pays d’émigration et dessiner la perspective d’une société pacifiée par le plein emploi, l’éducation, l’intégration républicaine, etc. Tenir cette ligne ne nous rapporte guère de suffrages, car celle-ci exige d’être pleinement mise en oeuvre pour être crédible. Mais ce n’est pas une raison pour singer le discours répressif et conservateur de la droite : ce discours est inconciliable avec le projet socialiste et contraire à l’intérêt général. Afficher la moindre convergence avec la droite sur ces questions, ne fait que valider les thèses de cette dernière, conforter ses électeurs dans leur choix et dégoûter du socialisme toujours plus d’électeurs.
Seule une gauche assumée et concentrée sur la question sociale peut gagner en 2007. Elle seule peut remobiliser les classes populaires et séduire la part des classes supérieures qui aspire à une société de solidarité et de paix sociale. N’oublions pas qu’en avril 2002, le vote des cadres supérieurs pour le PS s’est effondré autant que le vote ouvrier ! En faisant une part quelconque au discours néolibéral ou néo-conservateur, un candidat socialiste ne prend aucune voix à la droite : il perd des voix dans toutes les catégories sociales.
C’est ce dernier diagnostic qui, en 2004, a conforté tous les courants de ce parti – sauf celui auquel appartenaient alors Ségolène Royal et Dominique Strauss Kahn - dans leur rejet du TCE : le temps n’était plus au compromis avec, mais au combat frontal contre les néolibéraux. Nous avons alors prévenu nos camarades qu’il serait impossible de distinguer le « oui » socialiste du « oui » des néolibéraux, et que le PS risquait sur ce référendum un divorce complet avec son électorat. Nous avions raison et il faut maintenant reconstruire la crédibilité du PS à gauche. Cette question restera au cœur de la campagne de 2007, car c’est sous présidence française (en 2008) que s’achèvera la renégociation du TCE.
Le projet de la droite néolibérale est de passer outre le vote des Français, en obtenant la ratification parlementaire d’un mini traité institutionnel et en laissant en l’état tous les traités qui organisent l’Union en espace de guerre économique et de marchandisation progressive des biens publics. Si le candidat socialiste fait de cette renégociation un enjeu du débat et prend l’engagement d’assurer un réel débouché politique au « non » de gauche et pro-européen, il remobilisera en sa faveur tous les réseaux militants qui ont fait la victoire du « non ». Dans le cas contraire, ces mêmes réseaux mèneront une campagne contre le (la) candidat(e) socialiste. Durant la campagne nationale que j’ai menée pour le « non socialiste » dans des dizaines de villes, j’ai mesuré la reconnaissance du peuple et des militants de gauche pour la manifestation de cette autre voix (autre voie) socialiste. Mais j’ai enregistré partout la même promesse que ce mouvement de résistance populaire n’apporterait pas son soutien à un candidat socialiste qui aurait fait campagne pour le « oui ».
Certes, il nous faut aussi le soutien de la forte minorité d’électeurs socialistes qui a voté « oui » au référendum. Mais ce soutien ne fera pas défaut à un partisan du « non » qui se bat pour un nouveau traité européen plus proche du projet socialiste. En revanche, l’investissement personnel intense qu’a constitué la conversion au « non », pour des électeurs et des militants traditionnellement favorables aux traités européens – ajouté au mépris public pour leur position – a nourri chez ceux-ci le sentiment d’une victoire inespérée contre le néolibéralisme dominant. Ils attendent désormais un débouché politique concret à cette victoire.
Croire qu’aujourd’hui, pour eux, c’est déjà une histoire ancienne qui ne pèsera en rien sur leur choix en 2007 est une dangereuse illusion. Nombre d’entre eux prendront pour un pur mépris du vote populaire, un déni de leur incontestable victoire, la candidature d’un(e) socialiste, qui se serait distingué(e) par une admiration sans borne pour le TCE et des propos affligeants sur les « nonistes ». Cette réaction est d’autant plus probable que, au cours des derniers mois, nous avons tellement insisté sur la nécessité de « dépasser » notre division interne entre le « oui » et le « non », que beaucoup de nos concitoyens redoutent que ce dépassement soit en fait l’enterrement de l’écrasante victoire du « non ».
Allons-nous expliquer au Français que la préservation de notre unité, de notre appareil, passe avant l’intérêt général du pays, passe avant le respect du mandat donné par le peuple pour exiger une réorientation de la construction européenne ? Ferons-nous l’unité des socialistes en aggravant notre désunion avec le peuple de gauche ?
Alors, certes, il faut nous rassembler et dépasser notre division. Mais la seule façon de la dépasser sans finir dans le ravin de la défaite, c’est de reconnaître que nos électeurs ont tranché le débat en préférant le « non » socialiste au « oui » socialiste ; c’est de signifier, par notre vote en novembre, que l’aspiration massivement majoritaire dans le pays est désormais majoritaire dans le parti.
Comment évaluer les candidatures ?
Pour répondre à cette question, il faut nous en poser quelques autres. Qui évitera de répéter les erreurs de diagnostic de 2002 ? Qui est le plus en phase avec le mouvement social anti-néolibéral qui s’est manifesté le 29 mai 2005 ? Qui a renoncé à la stratégie suicidaire qui tire le discours politique vers un centre inexistant, brouille l’identité socialiste et nourrit le vote aux extrêmes ? Qui s’écarte le plus résolument d’une stratégie de « triangulation » consistant à mordre sur l’électorat de la droite en reprenant certains de ses thèmes de campagne ? Qui peut rassembler le PS et le PC sur un combat commun au second tour, et s’assurer aussi le soutien de tous les réseaux militants de la gauche ? Qui a la crédibilité pour promettre aux Français qu’il ne signera pas un nouveau TCE à peine amendé et ne tournant pas le dos à l’Europe espace de libre concurrence déloyale ? Qui manifeste le plus de respect pour le projet socialiste ?
Les postulant(e)s à l’investiture ont d’ores et déjà apporté des éléments de réponse à ces questions par les positions qu’ils ont prises publiquement.
L’orientation et les déclarations de Ségolène Royal mettent la gauche en danger
Ségolène Royal a multiplié les déclarations visant à occuper le terrain électoral de la droite (sur la sécurité, l’école, l’encadrement de la jeunesse, « l’éducation » des parents, la carte scolaire, etc.), n’hésitant pas au passage à dire le contraire de ce qui constitue le projet commun du parti socialiste et à indisposer sérieusement nos partenaires communistes [ceux-ci ont déjà fait savoir qu’avec Ségolène Royal toute entente PS-PC paraissait impossible]. Ségolène Royal manifeste ainsi sa conviction que la victoire dépend moins du rassemblement de la gauche, sur les exigences spécifiques de la gauche, que du débauchage d’une fraction de l’électorat de la droite. Ce faisant, elle divise la gauche et nous expose, au second tour, à l’hostilité manifeste de dizaines de milliers de militants de gauche. Et la mobilisation de ces derniers contre nous se traduirait au minimum par une poussée de l’abstention au second tour.
En refusant le débat avec les jeunes socialistes, en prenant ses distances à l’égard du « projet », Ségolène Royal révèle une conception du politique conforme à la logique présidentialiste de la Ve République : une personnalité s’impose par une relation directe avec le peuple, au-delà des partis. Elle compte donc justifier sa candidature par sa cote momentanée dans les sondages, et non par sa capacité à faire adhérer les Français au projet socialiste. Et il lui serait en effet difficile de procéder autrement, puisque les propositions auxquelles elle a donné le plus de retentissement public ne sont pas celles du parti socialiste.
Au mépris du projet, du débat avec les militants, et de la conception socialiste des institutions, Ségolène Royal s’est engagée dans une campagne personnelle de séduction dont l’efficacité médiatique met la gauche en danger : elle détruit la possibilité d’un rassemblement effectif de la gauche, elle transforme le parti en club de supporters et confie aux sondages d’opinion le soin d’arrêter les orientations politiques, elle pousse à son dernier degré la personnalisation de la vie publique, ce cancer qui tue la démocratie. Elle a ainsi déjà détruit la seule chance qu’il lui restait pour faire oublier son adhésion enthousiaste au TCE rejeté par les trois quarts des électeurs de gauche.
Seul Laurent Fabius peut rassembler à gauche
Pour l’information des nouveaux adhérents, je ne suis pas « fabiusien ». Bien avant 2002, je suis de ceux qui ont critiqué dans la presse une dérive centriste de certaines mesures économiques engagées sous la responsabilité de Dominique Strauss Kahn puis de Laurent Fabius (notamment en matière de fiscalité). Mon analyse politique n’a pas changé et fut hélas confortée par le double effondrement du parti dans les classes populaires en 2002 et en 2005.
En revanche, Laurent Fabius a opéré une inflexion majeure dans son combat politique. Il est le seul dirigeant de l’ancienne majorité qui ait tiré, comme leçon du 21 avril 2002, la nécessité de prendre un autre cap et de rassembler en priorité la gauche sur une ligne d’opposition frontale au modèle de la droite. Il est, au sein de cette majorité, le premier à avoir placé l’ « écologie sociale » au cœur du projet socialiste. Il est encore le seul des candidats à être resté aux côtés des communistes, du mouvement social et des altermondialistes, dans le combat pour une autre Europe. Il est ainsi, de fait, le seul susceptible de susciter un rassemblement de tous les électeurs de gauche, au second tour de l’élection présidentielle.
Certes, Laurent Fabius – comme Ségolène Royal et Dominique Strauss Khan – est solidairement responsable du bilan du gouvernement Jospin et donc aussi de la défaite en 2002. Mais, de tous les candidats, il est le seul à assumer sa part de responsabilité, sans se défausser sur des boucs émissaires qui nous éviteraient l’examen lucide des raisons qui ont nourri la défection de l’électorat populaire. S. Royal et D. Strauss Kahn ont fait une analyse commune du 21 avril et du 29 mai. Selon eux ce n’est pas leur orientation politique qui est en cause, mais la colère confuse et l’incompréhension de classes populaires désorientées et sur lesquelles le PS ne peut plus compter pour conserver le pouvoir. D’où la nécessité où nous serions de chercher des voix ailleurs.
Pour Laurent Fabius et tous ceux qui le soutiennent, le fait que les petits, les sans grades, les estropiés de la concurrence sauvage nous aient abandonné en 2002, ne justifiera jamais que nous les abandonnions à notre tour !
À moins de dire définitivement adieu au socialisme, nous n’avons pas d’autre issue que de défendre et de rassembler le peuple de gauche. Il s’agit de reconquérir sa confiance par une rupture assumée avec les ambiguïtés passées. Seul Laurent Fabius ouvre cette perspective en tournant le dos aux privatisations, à la concurrence dans les services publics, aux avantages fiscaux concédés aux détenteurs du capital et des plus hauts revenus. Seul Laurent Fabius entend faire campagne, en priorité, sur le pouvoir d’achat des bas salaires, sur le logement social, sur la réhabilitation de l’État républicain et laïc, sur la protection contre les délocalisations, sur la défense des services publics contre leur démantèlement programmé par la Commission européenne, bref, sur une politique résolument à gauche qui soumet l’économie à la régulation politique en vue du progrès social.
Seul Laurent Fabius rompt avec le présidentialisme et s’engage à soumettre rapidement par référendum une réforme instituant une nouvelle démocratie parlementaire, tandis que Ségolène Royal manifeste son attachement à la conception gaulliste de la fonction présidentielle. Cette différence est essentielle, car dans la logique actuelle de nos institutions, l’orientation fondamentale d’un nouveau gouvernement ne sera pas celle que les militants ont validées, mais celle du ou de la président(e). En s’engageant publiquement pour une autre conception de la République, Laurent Fabius révèle son intention de gouverner sous le contrôle du parlement et en dialogue avec les partis de la future majorité.
En conformité avec cette conception de la politique, seul Laurent Fabius respecte le projet de notre parti. Il ne fait aucune proposition contraire à ce projet ; il a présenté ses « engagements pour 2007 » comme la concrétisation tangible et immédiate d’orientations inscrites dans le projet commun des socialistes. Certains ironisent aujourd’hui sur la nature « électoraliste » de certaines de ses promesses (celle sur le Smic, notamment). Mais c’est bien avec des promesses que la gauche a accédé au pouvoir et c’est en les tenant qu’elle peut s’y maintenir. Il nous faut juste ne pas nous tromper de slogans : je préfère « 100 euros de plus pour le Smic » à l’« encadrement militaire des jeunes ».
Le mirage de l’opinion
J’attends donc toujours l’exposé des bonnes raisons que nous aurions d’investir une candidate qui prend des positions contraires au « projet », qui divise la gauche, exploite la stratégie électorale de rassemblement au centre qui nous a conduit à la catastrophe du 21 avril 2002 et n’a toujours pas reconnu la victoire du « non » de gauche, le 29 mai 2005. Je n’ai à ce jour entendu qu’un seul argument en sa faveur : sa popularité persistante dans les sondages d’opinion. Les dirigeants qui soutiennent Ségolène Royal assument clairement cette seule et modeste raison de leur choix : « les sondages montrent qu’elle a le plus de chance de gagner ».
Du point de vue de la science politique, cet argument est parfaitement inconsistant. Mais, même s’il avait la moindre consistance il serait politiquement et moralement inacceptable. Pour ma part, je ne soutiens jamais un candidat ou une position politique parce qu’ils ont le plus de chances de gagner, mais parce que je veux qu’ils gagnent et que je mène la bataille politique nécessaire à leur victoire. N’inversons jamais la fin et les moyens. Pourquoi nous battons nous ? Pour être dans le camp des vainqueurs ? Ou pour faire gagner notre camp ? Depuis des mois, trop de camarades cherchent dans les sondages la réponse à la question « qui va gagner » pour savoir qui ils doivent soutenir, au lieu de se poser la seule question digne d’un militant politique : « pour quelle orientation politique et, par conséquent, pour quel candidat doit-on se battre » ? Battez-vous pour le seul candidat qui respecte le projet socialiste et le mandat donné par nos électeurs pour engager la bataille contre l’Europe néolibérale et pour l’Europe sociale ! Et alors, même si vous ne serez jamais sûrs de la victoire, vous serez certains d’accomplir votre devoir de militant..
Pour ceux qui restent néanmoins sensibles aux sondages d’opinion, je rappelle que l’expérience comme la science politique nous enseignent qu’à partir de deux mois et au-delà d’une élection, les sondages ne nous apprennent strictement rien sur le résultat probable. « Suivre l’opinion » n’est pas seulement une posture indigente pour un militant, c’est une illusion trompeuse comme un mirage. L’opinion, ça n’existe pas, ça se fabrique et se modèle par la communication et par le combat politique. Si l’on veut se faire une idée de l’orientation et du type de campagne susceptible de conduire à la victoire, nous avons mieux que les sondages d’opinion : nous avons les votes de nos électeurs en 2002, en 2003, en 2004 et en 2005 et les enquêtes sur la composition sociologiques des votes et les motivations des électeurs. Sur cette base plus fiable, on sait que l’orientation néo-conservatrice des propos de Ségolène Royal et sa quête d’électeurs nouveaux au centre-droit nous conduisent à la défaite électorale. Les électeurs ne soutiennent les socialistes que sur un programme de transformation sociale en opposition radicale au néolibéralisme et au néo-conservatisme de la droite. Les électeurs de gauche ont massivement choisi le « non » socialiste à la Constitution européenne et rejeté le « oui » socialiste « compatible avec le oui de la droite ». Si nous leur présentons ce dont ils ont ainsi clairement manifesté l’exigence ils seront au rendez-vous au printemps. Sinon, nous connaîtrons la même séquence politique qu’en 2004-2005.
Tant que les électeurs ne sont pas confrontés au vrai choix, l’opinion exprime sa méfiance et son incertitude face à des options connues de longue date ; le désir de changement favorise mécaniquement une option nouvelle et inattendue et le mimétisme (bien établi par la psychologie sociale) fait le reste : tant qu’il n’y a pas d’enjeu véritable, la majorité des sondés se contente de ratifier le mouvement majoritaire ! Mais au jour du vrai choix et quand l’enjeu est de taille, les fondamentaux reprennent toujours le dessus. Les électeurs qui au premier tour, auront voté communiste ou auront usé d’un bulletin d’extrême gauche pour exprimer leur protestation, ceux-là ne voteront pas mécaniquement au second tour pour n’importe quel (le) socialiste. Laurent Fabius a une chance de mobiliser tous ceux-là pour battre la droite. Ségolène Royal, qui fait déjà campagne pour séduire d’autres électeurs que ceux-là, ne peut s’attendre qu’à leur défection.
La bulle des sondages éclatera et avec elle l’espoir d’une autre politique. Ne répétons pas l’erreur de 2004. Durant l’automne 2004, combien de camarades ont dit « oui » au référendum interne, parce qu’alors les deux tiers des Français disaient « oui » dans les sondages ? Le « oui » était au sommet de sa popularité. Des hommes et des femmes de gauche indifférents à l’écume médiatique, confiants dans le pouvoir du combat politique, se sont alors mis en campagne et, six mois plus tard, les deux tiers des électeurs de gauche et 55 % des Français votaient « non ». Nous voici aujourd’hui dans le même décalage trompeur entre l’humeur de sondés qui ne sont ni dans l’isoloir, ni en fin de campagne électorale. À la fin, il se produira la même chose qu’en mai 2005. Quand Sarkozy aura eu des dizaines d’occasions de souligner les points sur lesquels il est d’accord avec Ségolène Royal, quand tous les réseaux militants de la gauche non socialiste auront fait implicitement ou explicitement campagne contre une candidate à leurs yeux inacceptable, des centaines de milliers de nos électeurs potentiels diront « non » à un PS inconsistant et illisible face à une droite consistante et limpide.
Camarades, notre seule chance de faire gagner le projet socialiste est de susciter, à partir de la fin novembre, le même enthousiasme militant, la même volonté d’en découdre avec le néolibéralisme qui a saisi le peuple de gauche durant la campagne sur le référendum européen, a saturé les courriers électroniques et battu le pouvoir des médias. Ce peuple en sommeil attend un signe fort des socialistes pour se remettre en mouvement. Au moment même où il n’espère plus que nous aurons la lucidité de choisir un candidat qui s’engagea à ses côtés en 2005, surprenons-le. Disons-lui, en novembre que c’est maintenant que s’accomplit la promesse du 29 mai, et alors rien ne pourra l’arrêter.
Jacques Généreux
Professeur à Sciences Po., auteur d’une vingtaine d’ouvrage (Manuel critique du parfait Européen, Sens et conséquences du « non » français, Quel Renouveau Socialiste ?, Les Vraies lois de l’économie, etc.) et notamment de :
La Dissociété qui vient de paraître au Seuil. (voir http://dissociete.fr )
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