Augmentation des salaires et protection des salariés et des chômeurs
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé de l’emploi, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, la proposition de loi pour l’augmentation des salaires et la protection des salariés et des chômeurs comptait à l’origine quatre dispositions, dont deux destinées à améliorer l’indemnisation des demandeurs d’emploi.
Or, alors que la délégation du bureau de l’Assemblée nationale chargée du contrôle de recevabilité financière des propositions de loi avait accepté le débat sur l’ensemble du texte, le président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer, a saisi lui-même le bureau de la commission des finances pour que soient déclarés contraires à l’article 40 de la Constitution les articles 3 et 4 de cette proposition de loi. Il s’agit d’une démarche inédite dans l’histoire de notre assemblée : c’est la première fois qu’un président de l’Assemblée nationale effectue une telle démarche, laquelle résonne comme un aveu des intentions réelles face aux discours sur la revalorisation des droits du Parlement.
Il s’agissait pourtant de deux dispositions importantes, destinées à protéger les salariés victimes de licenciements économiques ou exclus du marché du travail suite à la fin d’un contrat à durée déterminée ou d’une mission d’intérim. Au moment où le chômage explose, et où l’on constate 250 000 demandeurs d’emploi supplémentaires lors du seul premier trimestre de 2009, chacun doit prendre conscience que le risque, aujourd’hui, est d’avoir 1 million de chômeurs supplémentaires à la fin de l’année. Derrière ces statistiques, il y a autant de drames humains, de projets familiaux anéantis et d’angoisse face à un avenir sombre.
Répondre à cette angoisse, c’est d’abord assurer aux victimes de licenciements économiques une indemnisation pendant une longue période, afin de maintenir leurs revenus et de leur permettre de retrouver leur place sur le marché du travail. C’est pourquoi nous avions proposé de généraliser à tous les licenciements économiques – et non à certains d’entre eux, comme le Gouvernement le fait aujourd’hui – le dispositif du contrat de transition professionnelle, et de porter sa durée à deux ans. C’était pour nous une première étape : la préfiguration, en quelque sorte, d’une véritable sécurité sociale professionnelle.
J’observe que cet engagement figurait dans le programme que le candidat Nicolas Sarkozy avait envoyé à tous les Français : « Je créerai », leur écrivait-il, « la sécurité sociale professionnelle. Une personne licenciée pour des raisons économiques ne perdra pas son contrat de travail, celui-ci sera transféré au service public de l’emploi qui lui garantira 90 % de sa rémunération antérieure aussi longtemps que possible. » On croit rêver : lors de la campagne présidentielle, le candidat s’était donc engagé à ce qu’il n’y ait plus de licenciements économiques, les personnes concernées étant envoyées au Pôle emploi, qui leur verserait, sans limitation de durée, 90 % de leur salaire ! Manifestement, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent ! Aujourd’hui, vous avez choisi d’écarter ce débat majeur en ayant recours à une manœuvre de procédure.
La deuxième proposition qui ne sera pas débattue visait à prolonger de six mois l’indemnisation de salariés inscrits au chômage suite à la fin d’un contrat à durée déterminée ou d’une mission d’intérim.
Ces salariés sont non seulement les premières victimes de la crise – en raison, notamment, de la loi sur les heures supplémentaires –, mais aussi ceux qui sont indemnisés le moins longtemps. Ceux qui ont quitté une entreprise en septembre ou en octobre, à la fin d’un CDD ou d’un intérim, arrivent aujourd’hui, au mois d’avril ou au mois de mai, en fin de droit : ils vont donc être confrontés à une situation d’exclusion sociale. Parce qu’ils sont les premières victimes, nous nous devions de leur apporter une réponse.
À cet égard, j’attire votre attention sur une statistique qui n’est pas suffisamment commentée. On nous parle d’une explosion du chômage des jeunes. C’est vrai, mais, quand on étudie le détail des chiffres, on constate que ce sont les jeunes hommes qui sont le plus durement frappés : en effet, ce sont eux qui occupent, dans l’industrie, les emplois en CDD et en intérim, et qui, en priorité, ont donc été massivement exclus des entreprises.
Nous avions proposé de prolonger leur indemnisation de six mois lorsqu’ils arrivaient en fin de droits. Vous n’avez pas voulu de ce débat. Utiliser la procédure pour ignorer la réalité sociale, préférer débattre de l’extension du travail le dimanche que de l’indemnisation des chômeurs, voilà qui signe une politique.
L’article 1er de la proposition de loi vise à soumettre le maintien des allégements de cotisations sociales à l’existence d’un accord d’entreprise ou de branche de moins de un an. Cette proposition répond à notre volonté clairement affirmée d’augmenter les salaires.
Les résultats des comptes nationaux publiés par l’INSEE révèlent une diminution du revenu disponible brut de 0,8 % pour le dernier trimestre 2008. Nous pensons qu’un véritable plan de relance passe par une redynamisation de la consommation, dont le moteur principal doit être une augmentation des salaires, c’est-à-dire une plus juste répartition de la richesse produite. Or, s’agissant du niveau du salaire horaire moyen, la France n’arrive qu’à la neuvième place dans l’Europe des Vingt-sept.
Aujourd’hui, le seul allégement de cotisation jusqu’à 1,6 SMIC représente un coût de 26 milliards d’euros pour les finances publiques. Dés juillet 2006, la Cour des comptes concluait ainsi son rapport : « Les allégements représentent aujourd’hui un coût très élevé. L’efficacité quantitative reste trop incertaine pour qu’on ne s’interroge pas sur la pérennité et l’ampleur du dispositif. »
Pour vous convaincre, je ne peux rien faire de mieux que de vous citer le discours prononcé à Périgueux, le 12 octobre 2006, par le candidat à la Présidence de la République, Nicolas Sarkozy.
« Je propose, disait-il, que le maintien des exonérations de charges pour les entreprises soit dorénavant conditionné à la hausse des salaires et à la revalorisation des grilles de rémunérations fixées par des conventions collectives. »
Qu’attendez-vous pour passer aux actes ? C’est exactement ce que nous vous proposons. Au lieu de cela, dans la loi du 3 décembre 2008, vous avez réduit un objectif politique majeur à une simple obligation formelle : il suffit à l’entreprise d’ouvrir des négociations pour bénéficier de tous les allégements. Nous proposons, nous, une obligation de résultat, parce que l’objectif est bien de parvenir à une augmentation.
Je viens cependant de découvrir qu’il existe une autre méthode. Monsieur le secrétaire d’État chargé de l’emploi, soyez attentif : vous n’avez pas assisté au débat précédent, mais Mme Lagarde nous a peut-être donné la solution. Comme nous lui demandions pourquoi le salaire du PDG de Gaz de France avait augmenté dans de telles proportions, elle a répondu que la bonne logique exigeait un alignement par le haut. Ce qui vaut pour les PDG doit bien valoir pour les ouvriers, les employés et les cadres. Vous pouvez donc appliquer cette méthode, qui devrait donner d’assez bons résultats. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Pour toutes précisions, je vous renvoie au compte rendu de la séance.
Le deuxième article restant en débat vise à la suppression du dispositif sur les heures supplémentaires prévu par la loi TEPA. Depuis le 1er octobre 2007, en effet, elle exonère d’impôt sur le revenu et réduit les cotisations salariales et patronales sur la rémunération des heures supplémentaires.
La première phrase de l’exposé des motifs de ce texte mérite d’être rappelée : « La relance de l’économie passe en priorité par la réhabilitation du travail comme valeur, comme outil d’amélioration du pouvoir d’achat, comme instrument de lutte contre le chômage. » Après dix-huit mois d’application, nous devons constater que le résultat est exactement à l’opposé de cette déclaration et que ce mécanisme que nous avons combattu dès l’origine est devenu, en temps de crise, une machine à détruire des emplois et à accélérer la montée du chômage.
L’étude des conséquences sur l’emploi des précédentes périodes de ralentissement économique révèle que, dans un premier temps, les entreprises réduisent le nombre d’heures supplémentaires, que, dans un second temps, elles suppriment les emplois intérimaires ou à durée déterminée, avant d’envisager un plan de licenciement économique si les difficultés persistent. Or la spécificité de la crise actuelle est que les deux premières phases ont été inversées.
Ainsi, des entreprises ont massivement supprimé les emplois en intérim et à durée déterminée, alors qu’elles continuent à utiliser un volet important d’heures supplémentaires. Les salariés dont nous parlions tout à l’heure, ces intérimaires qui ont été les premiers exclus de l’entreprise, ceux dont vous refusez d’évoquer la situation et de revoir l’indemnisation, sont partis plus tôt à cause de la loi sur les heures supplémentaires. L’existence de ce dispositif a directement accéléré le départ de l’entreprise de salariés souvent jeunes qui, au surplus, ne bénéficient que d’une faible durée d’indemnisation. Comment expliquer que, pendant toute l’année 2008, le nombre d’heures supplémentaires n’a cessé d’augmenter – et encore de 1 % au dernier trimestre 2008 –, alors que le chômage explosait ? La réponse est simple. Ce système est absurde. C’est une machine à détruire des emplois avec l’argent du contribuable.
La France est bien le seul pays au monde à avoir imaginé cette machine infernale dans laquelle l’heure supplémentaire coûte moins cher que l’heure normale. Cette machine infernale sera d’ailleurs à double détente au moment de la sortie de crise. En effet, le moment venu, les entreprises auront de nouveau davantage intérêt à augmenter le volume d’heures supplémentaires qu’à créer de nouveaux emplois, même en contrat à durée déterminée ou en intérim. Il leur sera d’autant plus facile de s’engager dans cette voie que, parallèlement, vous avez supprimé tous les contrôles administratifs ou contractuels sur l’utilisation des heures supplémentaires.
Vous avez en effet complété votre œuvre par la loi du 20 août 2008, qui a supprimé l’autorisation préalable de l’inspection du travail pour le dépassement du contingent d’heures supplémentaires et, surtout, a imposé la supériorité de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche.
Accélération des fins de contrats en début de crise, dissuasion au recrutement en sortie de crise : ce sera la double peine pour l’emploi. Encore faut-il préciser que tout cela est financé par de l’argent public. La facture est lourde : 4,4 milliards d’euros pour l’année 2008, qu’il convient de comparer au montant total du volet social du plan de relance du Gouvernement, qui ne s’élevait qu’à 2,6 milliards.
Comment ne pas mesurer qu’il est aujourd’hui urgent de supprimer purement et simplement ce dispositif ?
Ce n’est pas le salarié qui décide de faire ou de ne pas faire des heures supplémentaires pour améliorer ses revenus. C’est une prérogative exclusive de l’employeur. Aujourd’hui, le dispositif heures supplémentaires de la loi TEPA donne toute sa mesure, c’est-à-dire le pire.
Dès 2007, dans un rapport prémonitoire, le Conseil d’analyse économique écrivait : « Une fiscalité spécifique sur les heures supplémentaires aurait, quelle que soit sa forme, un effet incertain sur l’emploi et le revenu global avec un risque de dérapage des finances publiques […]. De plus, à notre connaissance, ce type de dispositif n’a jamais été appliqué dans aucun pays. »
« Dans ces conditions, avant de consacrer plusieurs milliards d’euros à une détaxation générale des heures supplémentaires, il nous apparaît indispensable d’expérimenter cette réforme sur une échelle réduite. »
Mesdames et messieurs de la majorité et du Gouvernement, vous n’avez pas suivi ce conseil. Vous avez fait une expérience grandeur nature. On en connaît aujourd’hui les résultats.
Malraux disait : « Il faut transformer l’expérience en conscience. » Bien que la commission ait rejeté ce texte, c’est la démarche que je vous propose aujourd’hui en vous demandant de voter notre proposition de loi.