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17 octobre 1961: ce moment du clair-obscur, celui où les monstres surgissent

Publié le par Stéphane GOMEZ

Mesdames et Messieurs les Élus et anciens élus,

Monsieur le Consul d'Algérie,

Mesdames et Messieurs, les présidents et représentants d’associations mémorielles et d'associations d’anciens combattants,

Mesdames, Messieurs du Centre Social Lévy, Madame Narjess El ARABI, Messieurs Mohamed AYACHE et Djibril BOUKARAI

Mesdames, Messieurs, les présidents et représentants des conseils de quartier,

Madame l’ordonnatrice de cette commémoration, Chère Nassima KAOUAH,

Mesdames et Messieurs, chères Vaudaises et chers Vaudais, chers jeunes Vaudais passeurs de mémoires,

Je vous remercie de votre présence ce soir, ici à Vaulx-en-Velin, pour rendre hommage aux victimes de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris.

Permettez-moi d’excuser Madame la Maire, Madame Hélène GEOFFROY qui est retenue par des contraintes d’agenda et ne peut, malheureusement pas et exceptionnellement assister à cet hommage, et qui me charge de la suppléer.

Rassemblés sur cette place de la Nation, devant ce monument des Droits de l’Homme, nous savons combien le travail de mémoire est nécessaire pour construire notre vie commune, nous savons combien les Vaudaises et les Vaudais sont attachés à ces temps mémoriels, nombreux dans notre commune.

Je remercie les jeunes du Centre Social Lévy qui nous ont fait découvrir ou redécouvrir Nicole CADIEU. Sa vie illustre, combien, le climat qui régnait en France, à quelques mois des accords d’Evian, était pesant, dans ce moment du clair-obscur tel que le décrivait Antonio GRAMSCI, celui des mondes qui meurent, celui des monstres qui surgissent.

C'est à ce temps du clair-obscur, d'un monde qui meurt et de monstres qui rodent, qu'appartient la répression du 17 octobre 1961.

Ce récit de vie d'une fille de Résistant met en lumière l'engagement clandestin d’une jeune femme comme agent de liaison du FLN, mais aussi d'une militante politique, aux côtés de son mari Jean-Jacques BROCHIER.

Ce portrait témoigne d’une fracture profonde qui existait à ce moment-là au sein de la société française, qui -en interrogeant sur le devenir de l’Algérie- s'interrogeait sur son devenir propre.

Le 17 octobre 1961, à l’appel de la Fédération de France du FLN, un rassemblement est organisé à Paris pour protester contre le couvre-feu instauré et concernant « la circulation des Français musulmans algériens », expression pleine d'essentialisation et d'assignation.

La répression organisée par le préfet de Police de l’époque, Maurice PAPON, est abjecte. Elle n'a rien de spontanée ou de réaction hâtive et incontrôlée : la répression sanglante est méticuleusement organisée. C'est en conscience que Maurice PAPON fait couler le sang.

En quelques heures, ce sont près de 12 000 manifestants arrêtés, parqués et brutalisés en divers lieux de la capitale, tels que l’ancien hôpital Beaujon, la cour de la préfecture de Police de Paris, le stade Pierre de Coubertin ou le parc des Expositions. Arrêtés, parqués, brutalisés et pour certains : assassinés !

Le nombre exact de victimes est toujours inconnu : les preuves sont en conscience détruites par les auteurs des assassinats.

PAPON récidive quelques mois plus tard dans une nouvelle démonstration de violence meurtrière au métro Charonne lors d’une manifestation anti-OAS le 8 février 1962.

Cinq mois seulement après cette funeste journée, les accords d’Evian sont signés dans la nuit du 18 au 19 mars 1962, qui viennent mettre fin à un conflit qui a commencé officiellement en 1954, qui en réalité durait depuis bien plus longtemps.

Ce n’est qu’en 1999 que le Président de la République Jacques CHIRAC utilise le terme de « guerre » pour définir le conflit de 1954 à 1962, avant qu'en 2012 le Président de la République François HOLLANDE admet et reconnaît la responsabilité de l’État français dans la répression sanglante d'octobre 1961, par ces mots :

« Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression.

La République reconnait avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes ».

Il est essentiel pour notre République de parler de l’Histoire, de la transmettre aux jeunes générations, à toutes les générations après des décennies de silence, de l'expliquer, transmettre ces histoires qui éclairent notre société et celles et ceux qui la font, qui concourent à faire société.

Dans une ville carrefour du monde, où la notion de vivre-ensemble est cardinale et fondatrice de notre identité, il est important de se souvenir pour construire notre présent et notre avenir partagé.

C’est la raison pour laquelle notre ville est particulièrement active et vigilante pour transmettre, sensibiliser et éveiller, de manière lucide et objective, notre jeunesse notamment, aux questions mémorielles.

À l’image des Chemins de la Mémoire, ou de la participation à nos nombreuses commémorations, ces temps de partages et de réflexions nous permettent de raconter l’Histoire de notre ville, de celles et ceux qui s'inscrivent dans notre Histoire, mais aussi de relater les grandes luttes et des engagements individuels ou collectifs qui ont permis d’aboutir à plus de justice, plus de droits, à une plus grande reconnaissance des parts sombres de notre Histoire, car cela aussi contribue à faire société commune.

Le travail de mémoire impose souvent un temps long pour reconnaitre incompréhensions ou rétractations sur le cours de l’Histoire, mais ce long chemin, cet ardu chemin est nécessaire.

Mais ce temps est primordial et nécessaire, d’abord pour les victimes et les proches de celles et ceux qui ont subi ces traumatismes, mais aussi et surtout pour essayer de ne pas les reproduire.

La période de la guerre d’Algérie demeure une période douloureuse pour notre société. Elle s'inscrit dans la logique coloniale, faute morale pour notre Nation. Elle alla s’immiscer et provoquer des divisions jusque dans l’intimité des familles.

La Guerre est aussi une histoire humaine et familiale. Comme nous le disait Madame BELOUAHEM-HASSANI l’année dernière, la guerre, ce sont aussi « des secrets que l’on garde enfouis durant toute une vie ».

Notre commune, inscrite dans toute l'Histoire de France, est aussi partie prenante de cette histoire là, par toutes celles et tous ceux qui ont participé sous une forme ou une autre aux différents moments et évènements de la guerre ou de la période qui précéda, par les descendantes et descendants de toutes celles et tous ceux qui ont été parties prenantes de cette guerre et de ses suites.

Au-delà, il est important de se souvenir de l'ensemble de ces combats pour une plus grande liberté, fraternité et égalité entre tous.

La répression du 17 octobre 1961 est l'expression d'un racisme décomplexé.

Les 40 ans de la Marche pour l’Égalité, au cœur de l’automne 1983, et dans laquelle des Vaudaises et des Vaudais ont été engagés, rappelle notre engagement à lutter aujourd'hui comme hier contre le racisme sous toutes ses formes, contre toutes les discriminations sous toutes leurs formes.

Notre Plan territorial de Lutte contre le racisme, les discriminations et l’antisémitisme, adopté 2015 et re-signé l’année dernière, est l'un des nombreux outils que la Ville de Vaulx-en-Velin met en place pour sensibiliser les habitants, les jeunes et les moins jeunes, à ce nécessaire combat, en y associant tous ceux qui se reconnaissent dans ce Plan, que l'on déploie sans distinction ou hiérarchisation entre les discriminations ou les luttes.

A l’heure où les discours haineux, stigmatisants et centrés sur la peur et le rejet de l’autre, de ses opinions, de ses orientations ou de sa couleur de peau, refont surface et s’ancrent, malheureusement, de plus en plus au sein de notre société, il nous faut redire combien la diversité est une richesse. On ne tolère pas l'autre, on le respecte.

À l’heure où des conflits font rage dans diverses régions du globe, où l’Histoire semble se répéter inlassablement, il faut, de la même manière, répéter combien la Liberté est un bien inestimable mais fragile, qui nécessite une vigilance et une persévérance de tous les instants.

A l’heure où les divisions humaines priment sur la bienveillance et le respect, élevons-nous ensemble pour que vive la Fraternité.

Avant de conclure, je souhaite avoir une pensée émue pour Dominique BERNARD, mon collègue, notre frère à tous en citoyenneté, enseignant au Lycée Gambetta d’Arras, sauvagement assassiné vendredi dernier, presque 3 ans jours pour jours avec mon co-disciple Samuel PATY. Tous 2 victimes de la même haine aveugle et totalitaire.

La barbarie et l’obscurantisme n’ont pas leur place dans notre société, ils doivent être combattus. Ils doivent être condamnés sans ambiguïté, en posant des mots qui ne sont pas ambigus, en posant le mot « terrorisme ». Ils doivent être condamnés et combattus.

Cette tragique actualité nous rappelle, avec douleur, la nécessité de transmettre sans relâche l’Histoire, toutes les histoires, les plus lumineuses comme les plus douloureuses, mais toujours avec objectivité, avec la réalité des faits même quand elle dérange, surtout quand elle dérange.

Je salue une nouvelle fois les jeunes du Centre Social Levy pour leur portait de Nicole CADIEU.

Je remercie les Services de la Ville pour l'organisation de cette commémoration.

Je remercie chacun, chacune, pour sa participation et son attention,

Vive la République ! Vive la France ! Vive l'amitié franco-algérienne !

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