CAR J'AI MOI AUSSI UN AVIS SUR LE SUJET #LEONARDA
J'ai pour principe d'éviter de commenter trop à chaud les sujets d'actualité et de me laisser emporter pour les bourrasques médiatico-nombrilistes, surtout quand, comme 99,99% des commentateurs autorisés qui s'expriment avec autorité sur le sujet du moment, je ne le maîtrise pas autrement que de loin et par les informations que l'on glane par ci, par là ou par ailleurs.
Mais il y a des moments où la bourrasque voulant se faire orage, une réflexion qui se veut mûrie du recul (ayons l'arrogance de le croire) devient utile, moins sur l'événement que sur ce qu'il révèle de notre société et de nos fonctionnements collectifs.
Donc, comme tout un chacun, j'ai pu une fin d'après-midi, me connectant sur les réseaux sociaux pour un peu de décompression immature, être envahi par le hashtag du jour : #Leonarda . Je ne savais rien alors de l'histoire, juste qu'il y en avait une. La machine internet était en marche, l'information et la désinformation créant la bulle, la médiatisation et l'emballement. En quelques heures, en quelques minutes, en quelques secondes, tous les autres sujets étaient balayés, tout le monde avait un avis sur le cas particulier, ou le cas général, ou les spécialités culinaires kosovares. Qu'importe, l'important était d'avoir une opinion, et tranchée de préférence. Aujourd'hui, tu n'es pas googlelisable, t'es plus rien ! Leçon 1.
De cette 1ère émotion, pardon : opinion, devait suivre la mobilisation, les incantations télévisées de fin de régime dignes de la III° République, le point Godwin immédiat de Jean-François COPPÉ (faute de pain au chocolat…), les éructations stériles de Jean-Luc MÉLENCHON (faute d'être suivi par le PCF à Paris, il préfère suivre les lycéens dans Paris), les manifestations virtuelles, les manifestations réelles,… et les sondages : les Français estiment très largement que #Leonarda ne doit pas revenir en France ! Émotion n'est pas raison, et les cas individuels sur lesquels RESF, par exemple, a intelligemment su tisser la toile de ses combats, ne fonctionne pas ou plus. Dans une France en crise économique, sociale mais aussi en crise identitaire, la bulle médiatique n'a pas pris sur l'opinion profonde, voire s'est retournée contre #Leonarda et sa famille. Leçon 2.
La petite #Leonarda et / ou sa famille se sont pourtant dans leur mésaventure donnés les moyens de leur succès. La jeune fille, maîtresse dans l'art de la communication, doit être bien géniale ou bien conseillée. Comme il semblerait qu'elle n'était dans son collège qu'une élève bien en dessous de la moyenne, on devra croire alors qu'elle fut bien conseillée. Mieux que son père, qui, pris en flagrant délit de mensonges, lance une menace de frappant délit. La famille, en habits neufs et tenues de premiers communiants bien sages, fait mieux pour sa cause, à tours de journalistes enchaînés à la chaîne, que les traditionnels réseaux de soutien, pourtant structurés. Quand une militante de RESF nous dit, sûrement avec raison, que des #Leonarda il y a en tous les jours, alors pourquoi #Leonarda aurait elle plus de droits à revenir que les autres dont les cas n'ont pas été médiatisés ? Quand une militante de RESF explique que la famille doit revenir car elle a 5 enfants, elle ne fait que résumer les limites d'un discours construit sur l'affect. Pourquoi avoir 5 enfants donnerait plus droit à vivre en France que si on n'en a que 2 ? Que si on est un couple sans enfants ? Que si on est un adulte isolé ? Il faudra bien un jour s'interroger sur qui fut derrière cette séance de communication bien orchestrée. Au-delà, il faudra mieux s'interroger sur qu'elle doit être la politique migratoire de la France, quel discours construire qui ne soit pas celui de l'émotion et de l'individualité, mais celui d'une politique publique progressiste et efficace. Leçon 3.
Reste la dernière pièce au débat, l'attitude du Gouvernement et du Président de la République. Notons déjà l'ampleur de l'onde médiatico-virtuelle qui oblige le Président a présenter dans une allocation solennelle les résultats de l'enquête administrative demandée par le Ministre de l'Intérieur, et la difficulté de l'exercice pour François HOLLANDE : trouver la synthèse entre l'opinion majoritaire (à Droite comme à Gauche), les mobilisations minoritaires (mais qui viennent plutôt de son « camps ») et une petite chose insignifiante qu'on appelle… le droit ! Car on peut trouver regrettable, et j'en suis sans conteste, que l'on vienne arrêter un mineur dans un cadre scolaire, quelque soit d'ailleurs le motif de l'arrestation, et devoir constater que le droit n'a pas été bafoué. L'école doit être un sanctuaire laïque, et je regrette que le Ministre de l'Intérieur n'est pas prolongé la circulaire ne permettant pas les interpellations d'enfants sans papiers en milieu scolaire ; je suis satisfait de voir que cela va être de nouveau fait, et pas seulement je l'espère par une circulaire qui peut être modifiée à tout moment. Pour le reste, même s'il m'en déplaît, le droit a été respecté. La loi est mauvaise ? Alors changeons la loi. Je le souhaite, je l'ai souligné plus haut. En attendant c'est la loi, c'est le droit, et dans une République cela a un sens. Peut-on reprocher au Ministre de l'Intérieur ou au Président de la République d'appliquer la loi et de vouloir faire respecter le droit ? Que les jeunes (et moins jeunes) manifestants cessent de se mobiliser pour l'application d'un droit d'exception (contraire aux principes républicains) et qu'ils se mobilisent pour un nouveau droit migratoire, plus généreux, plus ouvert. Leçon 5.
Demeure pour clore le sujet, la conclusion hollandaise de la synthèse présidentielle, permettre à la petite #Leonarda seule de revenir en France. À mon humble avis non-autorisé, cela était la discrète porte ouverte à un regroupement familial « inversé » : ce ne sont plus les parents qui font venir leurs enfants, c'est la fille qui fait venir frères et sœurs, et mère… et c'est peut-être là que le bas a familialement blessé dans cette réponse biaisée : la solution aura exclu le trouble père. Heureusement, jamais en mal de réponse, celui-ci a déjà promis un retour clandestin ! Étroitement surveillé comme il l'est, la famille sera promptement accueillie et renvoyée chez elle (en Italie ou au Kosovo?), et cette fois-ci ça ne sera pas à la descente d'un bus scolaire ! Affaire résolue, bulle médiatique suivante. Leçon 6.