APOLOGIE DU CUMUL
La loi votée mercredi dernier (en première lecture: le chemin d'un projet ou d'une proposition de loi, soulignons-le toujours, est légitiment long et complexe) contre le cumul électoral est une avancée magistrale, une avancée d'autant plus magistrale qu'inutile. Parole d'élu non cumulard !
Tout cela relève de la pensée magique. Car soyons honnête, à moins d'être un réactionnaire patenté ou un aspirant actif à la vénalité, chaque citoyen appelé à déléguer sa souveraineté (voter, quoi!), questionné pour savoir s'il est pour le non-cumul, le renouvellement, la parité, la diversité (au fait, un jour il faudra prendre la peine de définir ce qu'est la diversité en matière d'élection et de représentation), la lutte contre la corruption et les élus corrompu,… répondra que "oui", bien sûr.
Et donc, sondage après sondage, analyse après analyse, des personnes bien sous tout rapport et probablement fort savantes par ailleurs nous expliquent que les Français sont largement contre le cumul, pour le renouvellement, pour la parité, pour la diversité et contre la corruption et les élus corrompus.
Et, élections après élection, consultation réelle après consultation réelle, les Français, personnes bien sous tout rapport et forcément savantes en démocratie, votent pour des hommes vieux, blancs, cumulards et parfois (parfois, ne tombons pas dans la démagogie) avec quelques petits ennuis judiciaires aux fesses.
On répondra que c'est la faute des partis, qui ne présentent que ces hommes, blanc, vieux, cumulards,… Et ce n'est pas totalement faux. Mais ce n'est pas totalement vrai : car à chaque élection il y a toujours des candidats « autres », femmes ou de la « diversité » ou du « renouvellement », etc… Et parfois c'est la même candidature : une femme jeune de la diversité ! Et pourtant, l'élu, c'est l'homme vieux, blanc et cumulard !
Le citoyen français est-il illogique ? Non, peut-être est-il simplement plus intelligent ! C'est-à-dire qu'il est certes et sincèrement pour le renouvellement, la parité, le non-cumul,… Mais il ne vote pas pour une forme, il vote pour un fond. Être une femme est déjà un signe politique, mais va-t-on voter Marine LE PEN juste parce que c'est une femme ? Non, car le fond, ses idées, nous révulsent, et au final, le citoyen français, plus intelligent que l'analyste savant accroché à sa pensée magique, va préférer le candidat qui correspond au projet de société qu'il porte, quel qu'il soit, plutôt qu'à un packaging électoral.
Est-ce à dire qu'il ne fallait pas faire la loi sur le cumul après celle sur la parité ? Si, bien sûr que ces lois sont nécessaires (même si elles signent aussi un échec collectif à ne pas y parvenir autrement que par la loi) : la représentation nationale ou locale doit représenter -justement!- notre société dans sa réalité sociologique, elle doit se décloisonner et elle doit permettre à chaque élu d'agir correctement en lui dégageant du temps donc en faisant qu'il ne cumule pas. C'est ce que disent les Françaises et les Français, quand, dans les sondages, ils disent qu'ils veulent plus de femmes, plus de jeunes, le non-cumul,…
Donc, faisons ces lois, mais faisons les correctement. Car, par bien des aspects, la loi proposée sur le non-cumul répond avant tout à la question de la pensée magique, elle ne répond pas au fond du sujet.
Entendons-nous : elle est un progrès notable et mérite à ce titre un plein soutien. Mais elle ne suffit pas.
De mon expérience de jeune élu non-cumulard, la difficulté n'est pas que dans le maintien d'un exécutif local avec un mandat de parlementaire. À côté des mandats officiels, dont le cumul est déjà -insuffisamment- limité, il y a toutes les fonctions, celle que l'on ne voit pas mais pour lesquels se battent les élus, parce que ce sont des leviers de pouvoir pour appliquer la politique pour laquelle on s'est fait élire, parce que ce sont des sources d'indemnités mêmes limitées (pas d'excitation, on ne compte pas en milliers d'euros sur ces fonctions).
De l'argent, encore ?! Oui, de l'argent, encore !
Je vais peut-être brisé un mythe ou un tabou, mais on tant pis : on ne devient pas milliardaire en étant élu ! La très grande majorité des élus n'ont aucune indemnité ou symbolique (100-150€ par mois, ce qui, une fois couvert les frais de garde d'un enfant pour une réunion tardive ou une note de représentation, ne laisse plus grand chose). Et ceux qui ont une indemnité, une fois les cotisations sociales et autres frais divers liés à la fonction versés, n'en gardent plus des milles et des cents.
Je fais partie de ces élus « grassement » indemnisés, ceci dit sans fioriture : l'indemnité de conseiller général est une des plus importante parmi celles qui existent. Résultat de cette grasse indemnité : si je ne vivais que d'elle, je gagnerai aujourd'hui moins qu'avec mon seul salaire de professeur. D'où la nécessité (et le choix politique de conserver un ancrage professionnel) d'être toujours enseignant à temps partiel. Et là encore, avantage qu'est le mien : comme fonctionnaire, je peux facilement prendre ce temps partiel et retrouver un poste dès que je ne suis plus élu. Je cumule les avantages.
Tout le monde n'a pas la chance d'une indemnité conséquente et d'un métier permettant des adaptations. D'où la contrainte : cumuler, pour se dégager des ressources financières et donc du temps, et se protéger professionnellement. Bon, je n'ai pas que de la naïveté, il y a bien sûr chez certains, chez trop, le goût du pouvoir. Mais pas que ! Il y a aussi trop souvent une nécessité, malheureusement. Le cumul n'est pas qu'une origine du dysfonctionnement, il en est aussi le plus souvent la conséquence.
La solution est donc d'aller jusqu'au bout de la loi sur le non-cumul. D'abord qu'il y ait selon les responsabilités une vraie indemnité, qui permette de dégager du temps. Ensuite, qu'il y ait un statut de l'élu qui le protège (j'avais hier plus de protection vis-à-vis de mon employeur comme responsable syndical, ce qui est normal, que je n'en ai aujourd'hui comme élu puisqu'en la matière je n'en ai aucune!), lui permette facilement de prendre des temps partiels ou des demi-journées de congés, lui permette de retrouver ensuite un poste équivalent sans perte de salaire liée à la période d'élu.
Quand l'élu sera correctement indemnisé (car, oui, aujourd'hui, il ne l'est pas pour la très grande majorité!), quand il sera professionnellement protégé (car, oui, aujourd'hui, il ne l'est pas pour la très grande majorité!), alors la loi contre le cumul prendra tout son sens. Aujourd'hui, c'est une avancée magistrale mais en grande partie inutile.
La difficulté de la position, c'est que ces mesures sans explication, sans long
ues explications, renforceraient le sentiment que les élus sont des nantis qui s'octroient en période de crise économique encore plus de privilèges. Ce n'est pas une réalité, mais c'est une perception, sur laquelle ne manqueraient pas de prospérer le FN et tous les autres démagogues quelque soit leur extrême.
La difficulté est d'arriver à faire comprendre que la démocratie, si on veut qu'elle fonctionne, coûte de l'argent et que la très grande majorité des élus (fonction à laquelle tout citoyen peut se proposer, rappelons-le) ne vivent pas de leur mandat, ils donnent beaucoup plus qu'ils ne reçoivent. Mais des réponses rationnelles ne solutionnent pas une perception irrationnelle, c'est aussi ça la pensée magique…