André LAIGNEL: "On nous avait proposé un Grenelle de la fiscalité, c'est devenu un Waterloo des finances publiques"!
Association des Maires de France.
Complément au rapport d’activité de Monsieur André LAIGNEL,
Secrétaire général de l’AMF.
Discours du 17 novembre 2009.
Mes cher(e)s Collègues,
Je pense que ce congrès a un caractère tout à fait exceptionnel, compte tenu de la gravité de la situation. J'ai eu l'occasion, comme d'autres, d'aller dans de nombreux départements et partout j'ai entendu le même message, un message fait d'inquiétude, mais aussi souvent de colère. Il est vrai que, notre rapport d'activité, vous l’avez reçu chacun par écrit, et que c'est sur ce rapport que vous aurez demain à vous prononcer.
Je n'y reviendrai pas parce que j'ai envie d'aller à l'essentiel et, l'essentiel bien sûr, ce sont les réformes ou peut-être devrais-je dire les contre-réformes qui nous sont aujourd'hui proposées. Contre-réformes parce que, pour l'essentiel, elles remettent en cause 27 ans de décentralisation, qu’elles remettent en cause les moyens qui nous sont donnés pour faire face aux attentes de nos concitoyens. Et je dirais qu’aussi bien la forme que le fond sont pour moi contestables.
Sur la forme, ces réformes ont pour socle le dénigrement et pour méthode l'opacité.
Le dénigrement, je crois que, les uns et les autres, il nous excède, il ne se passe quasiment pas de semaine sans que dans les collectivités locales les élus soient mis en cause.
C’est, dimanche, un ministre, qui découvre que nous serions des féodaux. Quelle curieuse conception médiévale de notre société ! C'est en permanence la volonté de faire des élus locaux les boucs émissaires de la crise et je dirai que c'est là une spécialité du premier ministre. Nous serions responsables tout à la fois du débordement de la dette de la France, il paraît qu'elle s’endetterait pour nous ; nous sommes responsables du déficit abyssal, il paraît que ce déficit serait là pour nous, c'est bien entendu l'accusation de trop dépenser ; il y aurait trop de collectivités, trop coûteuses et trop d’élus.
Je voudrais revenir sur trois éléments que je viens d’énoncer du procès qui nous est fait.
« Trop de collectivités » nous dit-on.
C'est une antienne, elle revient comme la valse au bal-musette. Devrai-je rappeler une fois de plus que tous les pays d'Europe, à l'exception de trois, ont trois niveaux d'administration locale ?
Notre constitution d'ailleurs les énonce clairement, ce sont les communes, les départements et les régions. Tout le reste, ce ne sont que des outils au service des collectivités territoriales. Et sur les 27 pays d'Europe, je disais il y a un instant que trois seulement – la Lituanie, ce n'est pas un immense pays ; Malte, ce n'est pas très grand ; le Luxembourg, c'est riche mais pas très grand – sont les seuls à ne pas avoir trois niveaux d'administration.
« Trop de collectivités »… mais alors la seule différence qu’il y a avec ces pays c'est le nombre de nos communes. C'est vrai que la France a 36 700 communes et la seule question qu'il convient de se poser tous ensemble c'est : est-ce que c’est bon pour la France ? Est-ce que c'est bon pour la démocratie ? Est-ce que c'est bon pour le service de nos concitoyens d'avoir ces 36 700 communes ? Ou est-ce que ce serait un progrès que de les réduire ?
Je crois que tous ensemble nous devons dire que c’est une richesse extraordinaire et que, cette richesse, nous avons la volonté commune de la préserver.
L'autre reproche qui nous est fait c’est que les collectivités territoriales dans leur ensemble en France – communes, départements, régions – seraient trop coûteuses. Pardonnez-moi, ce passage va être un peu plus technique, je n'abuserai pas des chiffres mais je pense qu'il est important d’en donner quelques-uns. La plupart sont connus, d'autres le sont moins.
Savez-vous par exemple que la France est en-dessous de la moyenne des dépenses des collectivités territoriales par rapport à la moyenne européenne ? En France, les dépenses de ce qu'on appelle les APUL – les Administrations publiques locales dans le jargon de Bercy – cela représente 11,3 % du produit intérieur brut. Sur le plan européen, cela représente 12,7 %. Les collectivités locales en France sont moins coûteuses que la moyenne des collectivités locales en Europe.
La dette, que n'entend-on sur ce sujet ? Savez-vous par exemple que nous avons aujourd'hui en 2008, derniers chiffres connus, moins de dette pour l'ensemble des collectivités locales qu'il n'y en avait en 1995 ? En 1995, la dette des collectivités locales représentait 9 % du produit intérieur brut, en 2008 la dette des collectivités locales représente 7,1 %.
Dans le même temps, dois-je vous dire qu'à la fin de l'année l'Etat, prompt à donner des leçons, atteindra 84 % du produit intérieur brut pour sa dette ?
Quant au pseudo déficit, nous savons tous les uns et les autres, mais il est bon de le rappeler parce qu’il y a encore des gens qui croient qu’on peut être en déficit, nous n'en avons pas la possibilité, et c'est bien.
Et non seulement les collectivités territoriales ne sont pas en déficit, mais en 2008 elles ont dégagé 27,2 milliards d'épargne dans le même temps où en 2009 l'Etat dépassera les 140 milliards de dette. Dois-je rappeler que nos besoins de financement ne sont utilisés que pour l'investissement ? Ce qui n’est pas le cas de l'Etat.
Donc, je le dis très simplement : que l’Etat balaie devant sa porte avant de venir ici nous donner des leçons ou nous expliquer que nous serions fautifs de la crise et que donc c'est nous qui devrions la payer.
Enfin, dernier élément de cette campagne de dénigrement, et c'est peut-être le pire de tous, en tout cas celui qui pour moi est le plus insupportable : il y aurait trop d’élus et ils coûteraient trop cher.
Je le dis vraiment du fond du cœur, c'est quelque chose qui, pour chacune et chacun d'entre nous, quelle que soit notre famille philosophique ou politique, est inacceptable. Inacceptable parce que c’est faux.
Inacceptable parce que 500 000 élus locaux dans notre pays, c’est 500 000 femmes et hommes qui se dévouent pour leurs concitoyens et dont 90 % ne bénéficient d'aucune indemnité. Ces relents de populisme, nous ne devons pas les accepter.
Voyez-vous, moi je crois que c'est une richesse démocratique. Cela me rappelle François MITTERRAND qui, dans un congrès des maires de France, était venu dire : « 500 000 élus, quelle richesse ! », et il ajoutait : « Et pensez au million qui aurait bien voulu l'être et qui n'a pas réussi ». Et bien oui, c'est vrai, un million et demi de femmes et d'hommes qui vont devant les électeurs, qui prennent des risques, on en prend tous, et qui acceptent quand ils sont élus de sacrifier leur vie de famille, de prendre en compte les intérêts des autres plutôt que les leurs !
Oui, je crois que cela c’est profondément ce qui marque l’identité de la France. Quand on vient nous parler de l'identité nationale, l’identité nationale, mes chers collègues, c'est vous !
Alors, je le dis très simplement : pour moi, ces caricatures ne sont pas acceptables. Et si elles ne le sont pas non plus pour vous, alors tous ensemble, notre congrès doit le dire.
Deuxième point, mon propos porte sur l'opacité. Jacqueline GOURAULT tout à l'heure y a fait allusion et l’a très bien fait : on nous propose de voter une réforme de la taxe professionnelle, plusieurs dizaines de milliards en jeu, 50 % de nos ressources fiscales. Et à l’heure qu'il est, pas un d'entre nous qui sache quelles seraient les conséquences réelles de la réforme qui nous est proposée. On veut nous enfumer, cela n'est pas acceptable.
Quant à la réforme territoriale, on nous dit « votez-là mais vous saurez après quelle est la réalité de son contenu puisque c'est dans un an que vous connaîtrez la répartition des compétences ». C'est cela.
Qu'est-ce qu’on nous demande ? J'ai une expression dans le Berry qui correspond bien à cela. On dit : « on veut te faire acheter un lièvre en sac ». Et bien non, je ne suis pas acheteur et vous non plus.
Je voudrais maintenant évoquer le contenu, car nous n'étions que sur la forme. Maintenant, attaquons le fond.
Tout d’abord la réforme territoriale.
Je voudrais rendre hommage à M. BALLADUR, parce qu'il a été franc ; il a dit quelle était la finalité de cette réforme. Il l'a dit au lendemain du dépôt de son rapport. Il a dit très simplement : « l'objectif dans la durée c'est l’évaporation des communes et des départements ». Ayez toujours présent à l'esprit, quand vous analyserez les différents textes, qu’ils soient institutionnels ou financiers, cette phrase, car je crois qu'elle recèle une vérité.
Tout d'abord, les métropoles.
Une petite remarque au passage, on nous a dit « tout cela c’est pour simplifier et clarifier ». On nous en remet trois couches : les métropoles, les pôles métropolitains et les communes nouvelles. Si vous pensez que cela simplifie c'est que nous n'avons pas tout à fait la même notion de la simplicité.
Mais, regardons le contenu. Et le contenu est grave. Les métropoles, à un moment, ils avaient pensé à en faire des collectivités territoriales à part entière. Et là ils ont découvert qu’il fallait réformer la constitution et qu’il n’y avait pas de majorité pour le faire. Alors c'est devenu un établissement public supplémentaire, mais celui-là est absolument étonnant, parce qu'il ponctionnerait la quasi-totalité des compétences des communes.
Quand vous seriez commune à l’intérieur d’une métropole, vous auriez encore votre écharpe, il ne faut jamais vexer, l'état-civil, parce que cela quand même on ne va pas s’en encombrer au niveau métropolitain, mais vous n'auriez plus aucune compétence financière, puisque la totalité de la fiscalité et la totalité des dotations seraient dévolues à la métropole. Et que veut dire une collectivité territoriale ayant constitutionnellement la libre administration, qui n'aurait plus ni la capacité de lever l'impôt, ni les dotations qui lui reviennent ? Cela s'appelle, l'expression est de Jacques PELISSARD et je la trouve excellente, cela s'appelle une vassalisation et, bien entendu, nous ne pouvons pas accepter ce modèle de vassalisation.
Quant aux communes nouvelles, j'aurais une formule pour les caractériser, c'est en gros la nouvelle forme de fusion de communes. Les communes nouvelles, c'est la loi Marcelin en plus pervers. Quand on sait le succès qu'a eu la loi Marcelin… mais pourquoi je dis « en plus pervers » ? Parce que là, on ferait financer par ceux qui ne veulent pas fusionner ceux qui veulent fusionner.
Donc, il y aurait à la fois ces incitations à la fusion, donc à l’évaporation de nos communes, mais aussi la pénalité financière pour ceux qui veulent garder une identité communale.
Je crois que c'est une démarche qui n'est pas acceptable, et aussi bien à travers des métropoles qu'à travers les communes nouvelles. C'est une machine à broyer les communes qu'on veut mettre en place, je ne l’accepte pas et j'espère que vous non plus.
J'ajouterai un mot sur la loi sur le Grand Paris. Cela ne concerne pas la majorité d’entre nous, mais ce n'est pas pour cela qu'il faut s’en désintéresser. C'est absolument extraordinaire, c’est un retour en 1961. En 1961, avait été créé le district de Paris et on avait mis à sa tête un préfet de grand talent, M. DELOUVRIER. Et aujourd'hui, on veut à nouveau mettre en place un établissement public et les communes qui seraient dans ce Grand Paris n'auraient plus la compétence transport, n’auraient plus la compétence urbanisme, logement, c'est-à-dire des compétences essentielles à la vie communale. Et les régions elles-mêmes, la région elle-même serait désossée de toute une partie de ses compétences. Les départements seraient touchés. Et là, cet établissement public non seulement l'Etat s’y alloue une large majorité, mais ce sont les communes qui devraient continuer à payer.
C’est, je crois, une extraordinaire préfiguration de la recentralisation telle qu'elle est vue actuellement et qui n'est pas non plus acceptable.
J'ajouterai, mais cela a été excellemment dit par Jacqueline GOURAULT tout à l'heure, les réformes qui nous sont proposées en matière d'intercommunalité, oui, nous sommes plutôt pour qu'on termine l'intercommunalité ; en région parisienne c’est plus de 95 % des communes qui sont déjà concernées. Mais quand on dit qu’au 1er janvier 2013 ce seraient les préfets qui auraient les pleins pouvoirs, des pouvoirs exorbitants du droit commun, pour ciseaux en main décider du nouveau découpage, des futures fusions, alors je dis que là ce n'est pas acceptable.
C’est une recentralisation, c’est une volonté de réduire le nombre de communautés hors du choix de chacune et de chacun d’entre nous dans le cadre des missions qui sont les leurs. C'est la volonté que les territoires ruraux soient en particulier touchés puisqu’on met une barre artificielle : il ne pourrait plus y avoir des communautés de moins de 5 000 habitants. Mais qu'est-ce que cela veut dire par rapport à certaines de nos vallées ? Qu’est-ce que cela veut dire par rapport à certains de nos départements où les espaces sont immenses et les populations absentes ?
La vérité, et j'ai trouvé l’expression dans le Congrès des Maire ruraux, la vérité c’est qu’on veut un changement de nature de l'intercommunalité. L'intercommunalité, j’en suis convaincu, pour l’immense majorité d'entre nous, peut-être pour tous, c'est un moyen de mutualiser nos moyens, nos besoins, c'est un moyen de subvenir aux besoins de nos collectivités et faire en sorte qu'elles vivent. C’est pour les préserver, pour assurer leur avenir.
Là, la conception qu'on nous propose c'est en réalité de faire de l'intercommunalité l'antichambre de la suppression des communes et, cela, ce n'est pas acceptable.
Je voudrais enfin dire un dernier mot sur la réforme qui touche les régions et les départements. Ce n'est pas central, mais qui d'entre nous peut croire qu'il ne sera pas touché si les régions et les départements le sont aussi ? Et quand on dit « fin de la clause générale de compétence », mes chers collègues, si demain les régions et les départements ne peuvent plus aider les communes ou intercommunalités dans le domaine sportif – mais je pourrais prendre domaine après domaine, j’en prends un pour simplifier mon propos – si demain ils ne peuvent plus intervenir dans le domaine sportif, êtes-vous sûrs que vous pourrez remplacer ce que faisaient les régions et les départements ? Etes-vous sûrs que vous pourrez continuer à faire les investissements qui vous sont demandés sur le terrain ? Etes-vous sûrs que, sans cette solidarité-là, vous serez en capacité de répondre aux besoins de vos populations ? Moi, je suis convaincu que non. Donc je souhaite que ces collectivités gardent leur clause de compétence générale.
De même que je souhaite qu'il n'y ait pas de restriction aux financements dits croisés qui sont tout simplement en réalité la solidarité territoriale au jour le jour. Réfléchissez les uns et les autres un instant, s'il n'y avait pas eu la capacité de financement de la part des autres partenaires, combien de projets auriez-vous dû abandonner ces dernières années ? Posez-vous simplement cette question, reportez-là à votre territoire. Et je suis sûr que la réponse est évidente : nous avons besoin de cette coopération, de cette collaboration, de ces financements, de ces tours de table financiers. Il n'y aurait que le monde des affaires qui aurait le droit de se rassembler ? Et les élus, eux, au bénéfice de l’intérêt général n’auraient pas cette capacité ? C’est inacceptable.
Au total, mon sentiment est clair : c'est une loi de recentralisation. Et, si vous pensez avec moi que c’est nocif pour nos collectivités, alors très simplement et tous ensemble dans ce congrès nous devons le dire.
Je voudrais maintenant aborder les réformes financières.
J'irai à l'essentiel, je reprendrai une phrase de M. RAFFARIN, une fois n'est pas coutume, mais elle est juste ; il a dit de cette réforme : « elle n'est ni claire, ni juste ». Je crois que c'est vrai. Je sais bien, on cite François MITTERRAND, je me réjouis chaque fois qu’on cite François MITTERRAND, vous le comprendrez, on me cite François MITTERRAND « Oui, mais M. MITTERRAND a dit que c'était un impôt imbécile ». Je pense qu'il avait raison, mais dites-moi mes chers collègues, est-il raisonnable de remplacer un impôt imbécile par une réforme encore plus bête et surtout beaucoup plus injuste ?
Cette réforme a cinq défauts majeurs, je vais les énoncer. Demain, je vous invite à venir au débat sur les finances, puisque nous aurons la ministre des finances et son coadjuteur chargé des comptes publics. Je ne vais donc pas entrer dans le détail, je vais simplement énoncer :
- Transfert massif sur les ménages, pas à l'année 1 dans la durée, Jacqueline le disait tout à l'heure, à partir du moment où on va obliger par exemple toutes les intercommunalités à avoir de l'impôt ménage, alors que la majorité d'entre elles avait fait le choix de ne pas en avoir, cela veut dire que chaque fois que vous lèverez l’impôt, vous serez obligés de le lever aussi sur les ménages, là où vous n’en leviez que sur les entreprises. C'est vrai aussi du mode de calcul de la cotisation complémentaire, mais j’aurai l’occasion d’y revenir.
- Deuxième défaut majeur : après ce transfert sur les familles, c’est en définitive le recul des libertés locales à travers deux éléments que je cite simplement : le premier c’est l'instauration d'un lien rigide entre les impôts ménages et le nouvel impôt entreprise. Quand vous voterez, vous serez obligés de voter d'un bloc et, comme pour nous la partie ménage représente 70 % et la partie entreprise 30 %, chaque fois que vous voudrez augmenter l’impôt, vous l’augmenterez à 70 % sur les familles et à 30 % sur les entreprises. C'est cela la réalité.
Si à cela vous ajoutez que, sur 22,6 milliards qui doivent être compensés – ce sont les chiffres de Bercy, ceux qui nous ont été donnés par Mme LAGARDE – sur 22,6 milliards qui doivent être compensés et qu'aujourd'hui nous pouvons modestement, mais que nous pouvons néanmoins moduler, savez-vous quelle somme restera aux collectivités territoriales, sur lesquelles elles pourront un tout petit peu bouger ? Sur 22,6 milliards, 22 milliards ne seront plus modulables, ce seront soit des impôts à taux fixe fixé par l’Etat, soit des dotations. Cela veut dire qu'il nous restera 600 millions de marge de liberté, modeste, seulement sur la taxe sur les superficies commerciales qui sont encadrées entre un taux de 0,8 et un taux de 1,2. 600 millions seulement de marge de liberté sur 22,6 milliards, si cela ce n’est pas un recul de nos libertés et de l’autonomie locale, alors je ne sais plus de quoi on parle.
Là aussi, il y a une phrase de M. RAFFARIN, il est très actif en ce moment et je m’en réjouis, qui dit tout simplement, et je le cite : « quand l'Etat remplace une responsabilité fiscale par des dotations, il met la collectivité sous tutelle et la décentralisation recule ». Je crois que c'est malheureusement la définition de la réforme qui nous est aujourd'hui proposée.
- Le troisième reproche majeur c'est l'étouffement financier des collectivités. Non compensation, y compris en 2010 contrairement à ce qu'on nous dit, car, quand vous voyez qu'il pourrait être fait usage des taux 2008 et non pas des taux 2009, cela veut dire qu'il n’y aura pas de compensation pour ceux qui ont fait évoluer leur taux en 2009. Ce n'est pas le contrat, ce n’est pas la parole de l'Etat et cela n'est pas acceptable. Quand on regarde l’impôt qui nous est proposé à la place, très faiblement évolutif, non indexé pour les 22 milliards sur lesquels nous n'aurons aucune marge de décision, ni sur le taux, ni sur l'assiette, cela veut dire bien entendu dans la durée un étouffement.
Quand en plus on baisse le plafonnement… Vous savez qu'actuellement le plafonnement est à 3,5 %, sur la taxe professionnelle il sera abaissé à 3 % pour les entreprises. J'avais dit, quand cela a été créé, que c'était le supplice du garrot qui était mis en place, et chacun dans nos collectivités, en particulier dans nos intercommunalités, on voit année après année reculer nos libertés et nos capacités de lever l’impôt. Si demain c'est encore abaissé, c’est encore une part de liberté qui reculera.
- Enfin, deux derniers points plus rapides mais tout aussi importants, l'un c’est la rupture du lien entreprise/territoire. Parce qu'il nous est proposé aujourd'hui que 90 % – retenez bien ce chiffre – 90 % des entreprises ne paieront pas de cotisation complémentaire, c’est-à-dire la part principale de remplacement de la taxe professionnelle. 90 %. Qui cela touchera ? Les petites villes, les villes pas riches, nos espaces ruraux, parce que ce sont évidemment les petites entreprises, les PME qui seront totalement exonérées et nous savons que la valeur ajoutée est concentrée sur un certain nombre de sites, sur un certain nombre de villes. Cela veut dire que les plus riches s'enrichiront encore et que les plus pauvres s’appauvriront.
- Cela m’amène à mon dernier point, c’est que cette loi n'engage aucune péréquation, bien au contraire, ce sera l'enrichissement des plus riches, l’appauvrissement des pauvres et la paupérisation de ceux qui ne l'étaient pas. Cela n'est pas acceptable.
Le président de la République il y a 2 ans – oui, oui, il est venu, c’est arrivé – le président de la République, en 2007, nous avait annoncé, je cite ses propos, je suis toujours respectueux de la parole présidentielle, « un Grenelle de la fiscalité ». Rappelez-vous, certains étaient déjà là en 2007, « un Grenelle de la fiscalité ». Nous l'avions applaudi. 2 ans après, le chemin a dû être long pour trouver le Grenelle, d'ailleurs on ne l'a pas trouvé. On nous avait proposé un Grenelle de la fiscalité, c'est devenu un Waterloo des finances publiques !
Alors je vous le dis très clairement : en ce qui me concerne et, j’en suis convaincu, en ce qui concerne beaucoup d'entre nous, cette réforme n'est pas acceptable. Et si vous pensez comme moi, alors mes chers collègues, notre congrès doit le dire.
Quant au budget 2010, parce qu'à force de parler de taxe professionnelle on en oublierait qu'il y a un budget 2010, quant au budget 2010, c'est une évolution théorique de la dotation globale de fonctionnement de 0,6 %. Dites-moi, vos charges augmentent de 0,6 % ? Vous me dites comment vous faites, à activité égale ? 0,6 % ! Mais on oublie de vous dire en même temps – et là aussi je vais à l’essentiel, on en parlera demain dans le débat financier – que le plafonnement de la TP va conduire à ce que nos collectivités reversent près d'un milliard d'euros à l'Etat, un milliard d’euros, alors que l'augmentation de 0,6 % de la DGF représente 250 millions.
N'oubliez pas, si vous n'avez pas encore fait attention à cet aspect, que vous allez payer la taxe carbone et que tout le monde est censé être remboursé – les particuliers, ils ont le droit de le croire, les entreprises avec le cadeau qui leur est fait – et les seuls qui ne seraient pas remboursés, ce sont les collectivités locales. J’ai fait le compte pour ma petite communauté de communes de 20 000 habitants, c’est 40 000 euros. Faites les comptes chez vous, vous serez peut-être surpris.
Donc au total, ce sera une baisse de plus d'un milliard d'euros des ressources des collectivités en 2010. Cela veut dire, mes chers collègues, que 20 à 25 000 de nos communes verront leurs ressources baisser l'an prochain.
Alors le garrot que j'évoquais, nous en arrivons au stade ultime. J’avais dit : « le garrot cela commence comme une cravate et cela se termine mal ». Nous arrivons au stade ultime du garrot, c'est-à-dire à l’étranglement. Et cela je crois que cela mérite que nous réagissions les uns et les autres. C'est une offensive sans précédent qui est menée contre les collectivités territoriales : dénigrement des élus, recentralisation, étouffement financier, recul des libertés. Si avec moi vous pensez que ce n’est pas acceptable, alors tous ensemble dans ce congrès nous devons le dire.
J'en arrive à ma conclusion : que peut et que doit faire l'Association des maires de France ? Demander le report de ces reformes à fin 2010, donner du temps à la négociation, parce que nous voulons une véritable troisième étape de la décentralisation. Et si nous ne sommes pas entendus, alors nous devrons sortir de la proclamation pour passer à l’action.
Elle peut revêtir des formes multiples que nous devrons décider en commun : journée nationale de protestation, fermeture de nos mairies, grève administrative, consultation de la population, mais rien ne serait pire que l'inertie.
Face à la gravité de la situation, je le dis très clairement, très tranquillement, l'Association des maires de France joue sa crédibilité et donc son avenir. Notre force c'est notre unité, mais, si elle devait être le prétexte à l'inaction, alors elle n'aurait plus de raison d'être. C'est le destin de nos territoires qui est en cause et avec nos territoires celui de nos concitoyens.
Pour nous faire entendre, nous avons un viatique rare : la confiance des Français. Je crois que nous ne devons pas sous-estimer notre puissance collective, beaucoup va dépendre de notre congrès, de sa tonalité, de sa détermination, c'est ici et nulle part ailleurs que doit se nouer le dialogue et se prendre les décisions.
Nous ne sommes pas, mes chers collègues, en tout cas nous ne devons pas être le syndicat des élus, nous devons être le syndicat des citoyens. Je crois que c'est essentiel si nous voulons les uns et les autres être compris.
Les maires sont le premier recours mais aussi le dernier espoir de beaucoup des nôtres, nous ne pouvons pas accepter qu'on nous prive des moyens de répondre à leurs aspirations, à leurs besoins, parfois à leur détresse. Nous ne pouvons pas accepter l'affaiblissement de nos services publics locaux. Nous ne pouvons pas accepter d'être transformés en sous-traitants de l'Etat. C'est le pacte républicain lui-même qui serait affaibli et, au nom de tous
ceux qui nous font confiance, nous ne pouvons pas l’accepter et notre congrès doit le dire.
Le président de la République récemment a dit que nous étions épuisés. J'ai constaté que manifestement cela n'était pas le cas, je crois que nous aurons à cœur de lui montrer notre vitalité et notre combativité.
Il avait aussi dit en 2007 – il faut toujours avoir de bons auteurs – il avait aussi dit en 2007 « on ne réforme pas la France contre les élus locaux ». J'espère qu'il s'en souvient parce que nous sommes bien dans le cas de figure, qu'il en tienne compte.
Alors très simplement, j'ai envie de faire mien ce vers de Victor Hugo : « Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent ». Il faut que pendant ces trois jours nous luttions tous ensemble pour faire évoluer le cours des choses, il faut que nous enflions la voix, qu'elle porte jusqu'à l'Elysée, qu'on nous entende et qu'enfin le dialogue nécessaire, la négociation indispensable nous permettent de donner un avenir à nos territoires et des réponses à nos concitoyens.