Des « biens meubles », exploitables jusqu'à la mort.
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Madame la Ministre, Hélène GEOFFROY, Maire de Vaulx-en-Velin, Vice-Présidente de la Métropole de Lyon ;
Madame la Préfète, Madame Salwa PHILIBERT ;
Mesdames et Messieurs les Élus et anciens élus ;
Mesdames et Messieurs les représentants du Collectif du 10 Mai, Mesdames et Messieurs les membres et représentants d’associations ;
Mesdames et Messieurs de l'ensemble Gospel Emotion ;
Mesdames et Messieurs ;
Le 21 mai 2001 est promulguée une loi votée 11 jours plus tôt, le 10 mai, loi dite « Taubira » du nom de la parlementaire de la 1ère circonscription de Guyane qui la porte avec ardeur, Christiane TAUBIRA.
Dans son Article 1er, cette loi explicite : « La République Française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part, perpétrés à partir du XVème siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l'océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l'humanité ».
La traite négrière et l'esclavage sont des crimes contre l'Humanité. La loi de la République le reconnaît comme tel.
Il n'y a pas d'Histoire linéaire, de récit national parfait. L'esclavage ou la traite n'ont pas commencé avec la traite transatlantique, ils n'ont pas fini avec elle. Aboli en France au XIV°s, l'Europe connaît en son sein même, dans sa partie Est, le servage jusqu'au XIX°s.
Il n'y a pas d'Histoire linéaire et de récit national parfait, c'est pourquoi la République Française assume aussi de prendre toute sa part de ces voies sombres de son récit national, de son Histoire. La République peut s'enorgueillir d'avoir aboli l'esclavage, 2 fois, par les décrets du 4 février 1794 puis du 27 avril 1848 après que l'esclavage ait été rétabli sous le Consulat par la loi du 30 Floréal an X, du 20 mars 1802.
Le 27 février 1848, « Au nom du Peuple Français », « Le Gouvernement provisoire, Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; Qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; Qu'il est une violation flagrante du dogme républicain : « Liberté - Égalité – Fraternité » ; Considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l'abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres ; Décrète : Article Ier – L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises [, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d'elles. À partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront interdits] ».
L’esclavage était aboli, il fallait encore reconnaître ce qu’il fut, un crime. Si la République peut s'enorgueillir de l'abolition de l'esclavage et de la traite, elle ne peut pas découper l'Histoire et s'absoudre des parts sombres de l'Histoire de France, car la République c'est la France, toute la France et aussi ces moments sinistres et amers de son Histoire.
C'est pourquoi il revient aussi à la République, il nous revient aussi de reconnaître ce que furent l'esclavage et la traite négrière, une tâche de sang et de souffrances sur l'Histoire de France.
C'est pourquoi il nous revient aussi de reconnaître les spécificités de la traite transatlantique qui fut une exploitation systémique. Les chiffres sont à prendre avec prudence, mais la traite orientale aurait fait 17 millions de victimes en 13 siècles, la traite intra-africaine 14 millions sur la même durée, et la traite atlantique près de 11 millions sur le seul XVIII°s, environ 12 millions de victimes sur 110 ans.
Les chiffres sont à prendre avec prudence et importe peu, car on ne hiérarchise pas un crime en fonction du nombre de victimes, on le caractérise en fonction de sa nature. Et la nature de la traitre transatlantique était d'être une démarche systémique, organisée, légalisée. L'entreprise de destruction des corps et des âmes de millions d'Africaines et d'Africains était une démarche volontaire, structurée. En 1642, le roi Louis XIII officialise le commerce d'hommes et de femmes, avant que l'ordonnance royale de mars 1685, connue plus généralement sous le nom de Code Noir, règlemente l'esclavage, réglemente la soumission, l'objectivation d'êtres humains ; dans son article 44, le Code Noir définit les esclaves comme des « biens meubles » qui peuvent être cédés ou transmis.
Des « biens meubles », exploitables jusqu'à la mort.
Et cette réalité n’est pas une vérité du passé, datée, elle est encore vérité aujourd'hui, sous bien des formes, dissimulées ou pas. La traite des femmes à fin d'exploitation sexuelle et financière ; la soumission individuelle ou collective de migrants privés de leurs papiers ; l'exploitation forcée de travailleurs, parfois très jeunes, dans des conditions dégradantes et dangereuses et à la vue de toutes et tous, parfois avec la complicité tacite ou active d'un État.
La traite et l'esclavage sont aussi des réalités du XXI°s.
Les Amérindiens ont-ils une âme, se demande, en 1550-51, lors des « controverses de Valladolid » le philologue Juan De SEPULVEDA. Pendant plus de trois siècles, la France a par la loi répondu « non » pour et à des millions d'hommes et de femmes considérés comme « biens meubles ».
Et c'est à la vérité, la justice et la dignité qu'il convient de continuer aujourd'hui de répondre « oui », et de réaffirmer comme le fait la loi de la République que la traite d'êtres humains et l'esclavage sont des crimes contre l'Humanité. La justice et la dignité réclament, aussi, que nous maintenions notre vigilance et notre engagement, contre toutes les formes actuelles de traite et d'esclavage.