Damnatio Memoriae

Madame la Maire,
Chers Collègues,
Mesdames, Messieurs,
Notre Ville, notre Conseil Municipal ne manquent décidément jamais d'originalité. Après l'opposition absentéiste, après l'opposition qui ne vote pas des budgets aux associations ou aux clubs de sport, après l'opposition qui ne vote pas des créations d'écoles ou de médiathèques, on a depuis le dernier Conseil Municipal l'opposition qui ne vote pas pour donner à des lieux ou des équipements les noms d'anciens Maires démocratiquement élus par les Vaudaises et les Vaudais, les noms d'humanistes ou les noms de Résistantes ou de Justes parmi les Nations…
C'est difficile de s'inventer des raisons de s'opposer sur le fond, alors certains préfèrent le toucher... Passons…
L'objet de cette courte intervention au nom des élus Socialistes et Républicains Vaudais est -comme lors du dernier Conseil Municipal- de redire combien ces noms, celui de Francis BEAUSOLEIL et celui de Mohammed ALI, s'inscrivent dans la construction d'une identité locale partagée.
Il ne s'agit toujours pas de redire qui ils furent, leurs qualités ; cela est connu et les délibérations le rappellent.
Un maire, représentant de la délégation de souveraineté populaire. Un champion du monde de boxe, connu et reconnu tant pour son jeu de jambe que pour son arrogance sportive. L'un mourait quand l'autre devenait champion du monde. 2 personnalités que ne pourraient ne réunir que les hasards de délibérations d'un soir. 2 personnalités qui peuvent aussi être reliées par le fil d'un dépassement.
En 30 avant JC, Octave devenu Auguste applique le 1er à un Marc Antoine, déchu, la Damnatio Memoriae, la condamnation de la mémoire : le nom du rival d'Auguste devait disparaître, ne plus être cité mais au delà l'Histoire devait être réécrite pour faire « comme si », comme s'il n'avait jamais existé, été, agi.
Élu 3 fois Maire de notre Ville, en 1920, 1925 et 1935, Francis BEAUSOLEIL fut ainsi délégataire de la volonté des Vaudaises et des Vaudais. Révoqué par le Gouvernement collaborationniste de Vichy, son nom devait alors disparaître, être frappé de la condamnation de la mémoire, son nom devait disparaître de l'Histoire de notre commune. Même la Libération en 1944 ne devait pas lever cette Damnatio Memoriae, puisque, contre toute tradition républicaine, aucun lieu ou équipement publics n'honorait après sa mort celui qui fut notre Maire par la force du vote démocratique.
Champion Olympique 1960 puis Champion du Monde « poids lourd » en 1964, le jeune Cassius CLAY est rejeté par une partie des Afro-Américains, qui le trouvent trop docile avec un système encore ségrégationniste. On n'ose imaginer de quel terme en d'autres temps ici on l'aurait qualifié… Devenu Mohamed ALI, converti, objecteur de conscience, ce sont ceux qui l'avaient tant adoré qui maintenant se mettent à le rejeter, à le haïr. Par 2 fois certains voulaient dire ou faire comme s'il n'existait pas. La vie de Mohamed ALI ne fut pas seulement celle d'un grand sportif, d'un champion. Elle fut celle du combat d'un homme pour sa dignité, d'un homme qui combattit debout quand ceux qui l'applaudirent soudain le haïrent, avant que la maladie, comme une ironie, ne semble devoir condamner sa propre mémoire à lui même.
Voilà ce que peuvent dire ces 2 noms, bien antithétiques en apparence. Tous 2 ont été, en conscience, en volonté ou pas, disruptifs, dé-constructeurs d'un discours, d'une Histoire officielle, disruptifs de l'orthodoxie, de ce qui en apparence ne change pas.
Notre société ne peut être que l'Histoire des vainqueurs sur les vaincus. Elle doit se construire dans sa complexité, quand le centre s'élargit aux marges de manière inclusives. Ou alors les marges s'opposent et s'affrontent aux centres.
Avec ces 2 noms, nous rendons hommage à 2 personnalités, et nous disons la complexité de notre société, de notre ville ou de notre Histoire, contre les bien pensances et contre les orthodoxies.