ET SI DEMAIN C'ÉTAIT MOI ?
Toute la Nation encore frappée : Paris, plusieurs villes de sa banlieue, Nice, St Étienne du Rouvray,… Mais aussi Bruxelles, Orlando, Bagdad, Kaboul, Istanbul, Dacca,… Toute l'humanité est encore frappée.
À St-Étienne-de-Rouvray ce n'est pas un prêtre ou la communauté catholique qui étaient visés : c'est nous. À Orlando, ce ne sont pas des gais et lesbiennes qui sont visés : c'est nous. À Charlie, ce ne sont pas des journalistes ou des gauchos laïcards qui sont visés : c'est nous. À l'Hypercasher, ce ne sont pas des juifs qui sont visés : c'est nous. Au Bataclan, ce ne sont pas des jeunes aux mauvais goûts musicaux qui sont visés : c'est nous. À Bagdad, ce ne sont pas des traitres shiites qui sont visés : c'est nous. À Kaboul, ce ne sont pas de « mauvais musulmans » traitres vendus à Washington qui sont visés : c'est nous.
Tous ces actes terroristes, il faut les prendre dans leur ensemble, les dénoncer dans leur ensemble, sans les hiérarchiser (hiérarchise-t-on le mal?) et sans les opposer. Certains -peut-on être à ce point bête?- voudraient les spécifier, les uns par rapport aux autres, ouvrant la voie à l'opposition entre communautés et l'assignation identitaire. Certain -peut-on être à ce point bête?- reprennent la logique des terroristes, « eux » contre « nous », divisant, opposant, ne voyant plus les individus mais des groupes théoriques et figés dans lesquels on voudrait nous enfermer.
À ce petit jeu de la haine facile, je serai qui alors ?
Répond-t-on à leur haine par notre bêtise ? À leur lâcheté par notre couardise ?
Car quel courage il faut pour s'en prendre à des Français juifs qui vont faire des courses, à un prêtre catholique de plus de 80 ans, à des jeunes de toutes origines sociales et ethniques, de toutes conceptions religieuses ou philosophiques assis sur des terrasses ou à un concert après une semaine de labeur, à des familles et groupes d'amis qui vont voir un feu d'artifice. Oui, vraiment, ces bâtards, quel courage ont-ils ?
Ce courage des lâches n'est que le sinistre reflet de qui sont les tueurs, profil après profil : des gens en perdition, anciens délinquants ou asociaux, qui recherchent dans les autres, dans la société qui les insère d'autant plus que souvent elle les a vu grandir, les responsabilités collectives de leurs échecs personnels. Ces recalés de la vie, les théoriciens ou théologiens de la mort leur offrent un prêt à penser, un prêt à mourir : inquiétez-vous de rien, on « réfléchit » pour vous ; en bons télévendeurs on vous offre une belle mort comme on n'en fait plus depuis la Révolution française et la fin des privilèges. Oui, on vous privilégie, on vous offre un statut particulier, une raison de vivre ou plutôt de mourir pour vous permettre de sortir par le bas mais dans l'illusion funeste de votre vie d'échecs. Et les théologiens de la haine mourront eux aussi, d'accord, mais de mort lente ; d'accord mais de mort lente.
Pourtant, cette funeste arnaque morbide peut réussir : il suffit de lire les réactions de SARKOZY, BOUTIN, CIOTTI, FENECH et autres WAUQUIEZ, qui appellent tous à une état d'exception : arrêtons, expulsons « de manière préventive », renonçons à notre état de droit ! Pour lutter contre le terrorisme, donnons raison aux terroristes, créons l'état d'exception dont ils ne cessent de dire que la France est derrière un verni humaniste, créons une société du rejet, de l'amalgame, demandons à certains de s'excuser, de s'expliquer, coupables par assimilations ! Certains actes seraient plus graves que d'autres, le massacre d'un prêtre catholique toucherait plus à la civilisation française que des dizaines de jeunes et moins jeunes à un concert de rock US ? On hiérarchise alors la haine, on y répond par un état d'exception, on donne raison aux théologiens de la haine.
Pourtant, cette funeste arnaque morbide peut réussir, quand à coup d'angoisse préventionnelle on se demande s'il ne faudrait pas renoncer à notre manière de vivre. Pas « notre manière de vivre » collective, « à la française ». Ça serait quoi cette manière « à la française » ? La seule République que je connaisse c'est celle qui me voit comme individu, qui laisse autant de libertés et de respects à celui qui prie et à celui qui ne prie pas, à celui qui boit de l'alcool et à celui qui n'en boit pas, à celui qui baise et à celui qui ne baise pas, qui nous dit de « faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (article 3 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, 26 août 1789). Nice ou St-Étienne-du-Rouvray, c'est la même logique de faiblesse, trouver des paumés qui seuls vont attaquer tout et n'importe quoi, pour tuer « au quotidien », pour créer la psychose. Mais renoncer à sortir, c'est renoncer à notre manière de vivre, c'est renoncer à la vie. C'est dire qu'on a déjà perdu la guerre. Ne plus sortir, ne plus revendiquer notre liberté, c'est donner raison aux théologiens de la haine.
Et si demain c'était moi ? À la terrasse d'un bar à boire un verre de blanc, dans une libraire pour acheter un livre, un conseil municipal comme élu de la République, en cours comme hussard noir de la République multicolore ? Mais si je renonçais à tout cela, ce serait déjà moi ! Alors demain je vais continuer à boire de l'alcool, à lire, à militer pour la République, à éduquer pour émanciper.
Ce n'est pas de la provoc' facile. C'est continuer à être soi, un individu, libre, dans le respect des autres et dans l'exigence du respect des autres. Ce que je fais ne nuit à personne, que personne ne vienne me l'interdire, comme je n'interdirai rien chez l'autre qui ne nuise à autrui. Ma liberté vaut mieux que vos préjugés, ma joie de vivre vaut plus que leur haine.
Alors je continuerai à vivre, à aimer la vie jusqu'à en mourir, je continuerai à vivre, à boire, à baiser, et, oui, je continuerai à les emmerder. Bande de cons, je vais vivre, je vais jouir.