Rallumer tous les soleils dans toutes les hauteurs de l'espace.
Mesdames, Messieurs,
Ce moment qui nous réunit cache son importance. Au milieu des lumières qui éclairent de toutes couleurs les rues vaudaises ou grandes lyonnaises, ce moment est pourtant à la jonction de ce qui fonde la rénovation urbaine, à la jonction du hard et du soft, de la pierre et de l'humain.
Ce sont les émeutes d'octobre 1990, à quelques mètres d'ici, qui, à défaut de réellement initier la politique de la Ville, vont lui donner toute son envergure et toute sa lumière. Mais depuis, au Mas, l'ombre s'était re-faite. Le Centre Vaulx s'est construit, des rénovations d'ampleur ont été entreprises dans les Quartiers Est ou à la Grappinière, le Sud se transforme depuis ses friches, le Village s'est mué, et le Mas, le Mas lui est resté, pour la pierre, tel que lui-même pendant 25 ans. Les premières destructions d'immeubles, c'était il y a 9 ans, à la Luère, et cela a été tout ou presque.
Alors ce moment est important, car il marque un tournant, pour les bailleurs qui sont engagés dans cette démarche depuis des années, et pour la Ville, pour la nouvelle majorité qui est en action depuis quelques mois.
Ce chemin de lumière qui nous éclaire ce soir doit conduire jusqu'aux destructions de ces barres de Luère – Écharmeaux avant ensuite Cindre et Gerbier, destructions qui ne sont pas un point final ni un point de départ, mais un point d'étape dans la rénovation du Mas, une rénovation attendue depuis trop longtemps par les partenaires mais aussi et surtout par les habitants.
Et c'est là que se fait la jonction, car la politique de la Ville, ce n'est pas de la pierre, c'est un projet humain. Un projet humain pour les habitants. Un projet humain, c'est notre conviction, par les habitants !
Cette soirée qui nous réunit n'est pas un exercice de style pour étudiants qui doivent œuvrer sur un projet technico-artistique, à partir d'une matière plus ou moins facile à leurs yeux. Si c'est un exercice, c'est d'abord un exercice de modestie : la pierre, ce n'est pas tout ! Les utopies urbaines d'avant-hier sont devenues les cauchemars humain de hier ! Et donc, chacun à notre place et dans notre rôle, nous devons regarder avec modestie notre action et nos réalisations.
Cette soirée est un moment dans la construction d'un processus humain autour des habitants de Vaulx-en-Velin et d'abord du Mas du Taureaux, car c'est eux qui doivent refaire leur ville et leur quartier. Comme le disait François LAMY, la politique de la Ville, « ça ne vient pas d'en haut » !
La rénovation urbaine a quelque chose de libérateur pour les habitants qui peuvent s'inscrire dans un parcours résidentiel, grâce aux résidentialisations portées par les bailleurs ou par les possibilités de mutations. La rénovation urbaine a souvent aussi quelque chose de violent pour les habitants, qu'on contraint au déménagement et à l'abandon d'une vie, à qui on envoie le message que pour que le quartier deviennent beau ils doivent eux partir !
Cette soirée est un moment dans une démarche, celle dans laquelle les habitants réinvestissent leur quartier et nous rappellent qu'ils sont le cœur vibrant de notre ville. C'est le choix de notre majorité municipale de les mettre, notamment au travers des Conseils de Quartier, au centre de la démarche et des choix pour demain. C'est l'importance d'une démarche comme celle du Mas Stocke, pour rappeler que ces parcours humains n'ont pas été des parenthèses dans notre ville, parenthèses qu'on peut oublier, mais qu'ils sont notre ville, le point de départ, le point d'arrivée et le fil continue qui les relie, qui fait et dicte notre actions.
La politique de la Ville ce ne sont pas des tours ou des barres qu'on effondre ou qu'on construit, ce sont des hommes et des femmes qui se tiennent chaque jour debout, c'est l'humain d'abord, en paroles et en action.
Pour conclure ce propos, je citerai ce passage que j'apprécie particulièrement d'Aimé CÉSAIRE, dans son Cahier d'un retour au pays natal : « Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... » (Cahier d'un retour au pays natal, 1939).
Oui, nous n'aspirons pas à être spectateurs de nos vies, car nos vies ne sont pas un spectacle. Je ne crois pas que ce soit non plus une mer de douleurs même si la vie dans nos quartiers n'a pas toujours été simple ou heureuse. C'est une vie de bruit ou de fureur, car nous n'aspirons pas au calme de la normalité, c'est une vie de joie et d'accomplissements car nous croyons en notre capacité de rallumer toutes les lumières, tous les soleils de notre République.
Et puisque je parle de cette République qui doit contribuer à notre émancipation et que nous sommes à quelques minutes de la mise en lumières de ce chemin de vie au cœur du Mas, je terminerai par cette dernière citation de Jean JAURÈS : « Même s'il éteignent un moment toutes les étoiles du ciel, je veux marcher avec eux dans le chemin sombre qui mène à la justice, étincelle divine, qui suffira à rallumer tous les soleils dans toutes les hauteurs de l'espace ».