Liberté, éthique et sécurité
Le cours est celui d'Éducation Civique sur la Liberté. Début classique: qu'est-ce que la Liberté? On embraye sur la définition de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen: "La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui" (article 4), des documents sur quelques penseurs de la Liberté et sur la conquête de quelques libertés, la règle et la liberté dans un régime démocratique ou une dictature (le droit de résistance à l'oppression), que du classique.
Puis, les gens des ministères ont parfois de bonnes idées, alors on a une partie sur la liberté de la presse, comme baromètre d'un fonctionnement démocratique, comme 4ème pouvoir. Et on continue à creuser, avec la Charte de Munich, charte de déontologie de 1971. Là j'y rajoute un petit document de mon cru: une photographie de la jeune Omeyra.
La jeune Omeyra, les personnes de plus de 22 ans s'en souviennent sûrement, c'est cette Colombienne prise dans un puits de boue après une éruption volcanique en novembre 1985. Pendant des jours, pas un journal écrit, radio ou télévisé qui ne titrait sur son infinissable agonie. J'explique que cela a permis de sensibiliser les gens: en quelques jours, les dons ont plu par millions alors que personne ne se préoccupait à l'origine de cette catastrophe; mais généralement certains élèves commencent tout de suite par dire que les journaux ont fait ça pour vendre (quelle drôle d'idée: d'où les jeunes peuvent-ils croire qu'un journal est un produit commercial comme un autre??).
De là on fait le lien avec la charte d'éthique: du "journalisme" qui s'appuie sur le sentiment, le sensationnel, qui parle à l'instinct et non à la raison, un "journalisme" qui entretient la médiocrité plutôt que de cultiver l'intelligence. Généralement je peux alors me contenter de laisser les interventions se faire, mes "petits" 4èmes (14 ans, pour ceux qui ont oublié ce qu'est un 4ème) comprennent vite où je veux en venir et le rejet de la trash press.
J'ai cependant repris la main aujourd'hui, pour faire une liaison avec l'actualité, avec le meutre ce week-end d'un octogénéraire sudiste par un déséquilibré mental, histoire de leur demander quel a été le traitement de l'information par la presse: la voisine qui pleure, l'autre qui crie sa haine contre ces maudits juges qui laissent les fous en liberté, les députés et autres ministres qui se précipitent pour proposer une nouvelle loi (encore une?!), pour demander une meilleur liaison entre hôpitaux psychiatriques et police, pour dénoncer ces maudits juges qui laissent les fous en liberté (tiens, je l'ai déjà entendu cet argument! c'est la voisine qui influence le ministre ou l'inverse?),...
Nulle part je n'ai entendu, vu ou lu parler de projet de société pour tous les marginaux (enfermement, centres ouverts, prise en charge médicamenteuse, suivi psychiatrique individuel,...), nulle part un sujet sur le bilan en matière de soins psychiatriques (évolution des budgets, formation, ouverture ou fermeture de lits, nombre de patients par médecins et infirmiers,...) des différents gouvernements et notamment de celui qui oeuvre depuis 2007 et de la majorité en place depuis 2002.
Il est normal qu'un tel drame provoque des réactions émues, et il est normal que la presse en rende compte, car c'est aussi une information.
Mais il est aberrant que le développement médiatique se limite à ce sensationnalisme de bas étage, qui sert de plus le discours gouvernemental, qui cultive le populisme, la médiocrité de l'instinct et répond à toutes les coupes budgétaires par une lois sécuritaire (combien de loi répressive depuis 2002 pour combien de faits divers???!).
Bien sûr, tous les journalistes ne sont pas du même acabit, mais j'ai souvent l'impression que la presse, qui pour vivre se gorge de faits divers, est réduite à ça: illustration d'un cours d'Éducation Civique pour pré-adolescents sur le sensationalisme et l'art de la médiocrité, sensationalisme et art de la médiocrité dont fait son lit le populisme...