Intervention de Guillaume Bachelay - Conseil National, 9 novembre 2010, Assemblée nationale
Chers camarades,
Ce n'est pas parce qu'on s'exprime tardivement qu'il faut oublier les remerciements. A Benoît Hamon qui préside cette Convention. A Martine Aubry, notre Première secrétaire, qui en a rendu possibles pas moins de quatre cette année – c'était l'engagement pris voilà un an et demi : la feuille de route est respectée et les militants aussi. Et puis remerciements aux camarades critiques – après tout, c'est leur droit à condition de réserver à nos instances la primeur de leurs analyses – qui nous permettent de lever ce soir certains malentendus.
Je ferai trois séries d'observations.
La première concerne le texte qui nous est soumis. Il est important par les sujets qu'il aborde, il est dense par son contenu. Il faut donc en montrer l'essentiel pour le rendre lisible.
C'est un texte de transformation sociale : les préoccupations des Français sont celles des socialistes. Ce n'est pas rien quand on sait l'ampleur de la désespérance à l'égard du politique et dont l'abstention n'est qu'un des signes. Réenclencher l'égalité scolaire, briser les ghettos urbains, garantir l'accès aux soins, rendre effectif le droit au logement – enfin ! – , reprendre la marche de l'égalité entre femmes et hommes, combattre les discriminations : voilà nos défis aujourd'hui dans les territoires, demain, bientôt, au Gouvernement et au Parlement.
Ce texte est concret : chaque fois qu'un objectif est assigné, on dit comment y parvenir – comment « réaliser » l'égalité. Sur l'école, nous savons, donc nous disons que les inégalités se forgent dès le plus jeune âge : aussi est-il proposé de mettre le paquet sur la scolarisation précoce et l'école primaire. C'est un progrès pour notre jeunesse et c'est une différence avec la droite qui elle, dès trois ans, préfère moins transmettre les connaissances que détecter par je-ne-sais-quel instrument biométrique les comportements soi-disant pré-délinquants ! La meilleure lutte contre l'échec scolaire, c'est de s'en occuper le plus tôt possible pour qu'il ne se développe pas. De même, le texte part de l'idée juste que l'énergie la plus écologique est celle qu'on ne consomme pas – ménages, opérateurs publics, entreprises. D'où la proposition de réduire la consommation d'énergie du parc des bâtiments existants, ambition du Grenelle de l'Environnement d'autant plus légitime que, comme les autres, elle aura en 2012 besoin d'être concrétisée dans les faits.
Ce texte est aussi un texte responsable. Parce que des priorités sont clairement fixées : éducation, logement, santé. Qu'une valeur, qui est aussi un outil, est revendiquée : le service public – qui n'est ni forcément centralisé ni nécessairement l'ennemi des synergies avec le secteur privé. Et puis, sont proposées des mesures qui, pour un grand nombre d'entre elles, soit ne coûtent rien, soit rapportent, soit sont financées par des redéploiements. Qui ne coûtent rien : la lutte contre la rétention foncière pour favoriser la construction de logements. Qui rapportent : la rémunération au forfait des médecins. Qui s'appuie sur des redéploiements : la diminution du recours au redoublement, aussi coûteux que peu efficace pour les élèves, qui permettra de financer soutien scolaire et études dirigées.
Enfin c'est un texte qui parle à l'ensemble de nos concitoyens, et d'abord à ceux dont le Médiateur de la République disait justement, il y a peu, qu'ils sont la « France fatiguée » : fatiguée d'être oubliée, fatiguée d'être reléguée, fatiguée d'être laissée seule face au déclassement.
Ma deuxième série d'observations porte sur l'année de réflexion qui vient de s'écouler. Au total, quatre Conventions, s'y ajoutent les Forums des idées, les travaux des secrétaires nationaux et ceux du Lab', ainsi que les propositions de nos parlementaires, de nos élus locaux, du MJS, bref un immense travail pour le projet. Or, nous sommes à un stade où nous pouvons d'ores et déjà en distinguer les piliers :
Un nouvel interventionnisme de la puissance publique (Etat, mais aussi collectivités territoriales et Europe) pour une croissance social-écologique – je pense au Pôle public d'investissement industriel ou à la modulation de l'impôt sur les sociétés selon le réinvestissement des bénéfices dans l'innovation, la recherche ou les salaires – ce sont deux acquis de la Convention sur le nouveau modèle de développement ;
Un État prévoyant adossé à des services publics davantage personnalisés et mieux localisés – au fond, c'est la grande novation du texte sur l'égalité réelle;
Une société du respect, qui assure la tranquillité publique – le Forum sur l'autorité et la sécurité aura lieu dans quelques jours –, favorise l'articulation entre les droits et les devoirs, lutte pour la citoyenneté et contre les discriminations ;
Enfin, une réorientation de l'Europe autour de deux principes : la compétitivité par la montée en gamme de nos économies et un juste échange commercial entre les nations. C'est le grand acquis de la Convention internationale.
Ces quatre piliers soutiennent une même charpente : la démocratie, politique économique, sociale, culturelle, territoriale – et le Parti socialiste donne l'exemple à travers sa rénovation coordonnée par Arnaud Montebourg. Alors que nous sommes à une étape charnière – entre les conventions et la convention du projet qui se déroulera au printemps –, cette mise en perspective est indispensable si nous voulons proposer et rendre visible aux Français un projet de transformation démocratique, économique, écologique et sociale.
Ma dernière série de remarques concerne un sujet qui a été évoqué ici et, si j'ai bien lu et entendu, ailleurs. C'est la question Carambar : « qu'est ce qu'une crédibilité de gauche ? ». Chacun a sa réponse, mais dans notre confrontation avec la droite, c'est une réponse commune que nous devons chercher.
Être crédible pour la gauche, c'est comprendre l'attente de changement. En 2007, M. Sarkozy a été un grand prometteur : il s'est depuis avéré un Président démolisseur. Ces dernières semaines et ces derniers mois, le mouvement des retraites n'a pas mis des millions de Français dans la rue, soutenus par 7 Français sur 10, pour réclamer plus d'austérité, mais pour réclamer plus de justice et d'efficacité. En 2012, les Français ne voteront pas pour la gauche parce qu'elle proposera plus d'austérité que la droite ou – colossale finesse – « mieux d'austérité » ! Je veux rassurer nos camarades qui s'alarment d'une gauche qui promettrait tout : le grand danger, c'est une gauche qui ne changerait rien.
Être crédible quand on est de gauche, c'est aussi proposer un cap et des priorités. Notre parti n'a jamais manqué de propositions concrètes et financées : en revanche, il lui a souvent été reproché de ne pas leur donner sens en un projet – qui n'est d'ailleurs pas réductible à un slogan. La crédibilité, ce sont aussi des priorités. La Convention du projet opérera cette hiérarchie pour passer du dictionnaire à l'encyclopédie. Je soumets à la discussion collective la proposition de triple agenda que j'évoquais mardi dernier au Bureau National : les mesures d'urgence démocratique et sociale pour les cent jours ; les politiques qui exigeront pour se déployer la durée de la législature ; enfin à l'horizon de la décennie, les « orientations paquebots » dont les mouvements supposent du temps et des partenariats stratégiques, je pense aux coopérations renforcées sur la recherche ou sur les énergies que nous proposerons aux autres Européens.
Enfin, la crédibilité de gauche, c'est tenir les deux colonnes du projet : dépenses et recettes. Ce travail avait été engagé pour le projet présidentiel du Parti en 2006 – j'ai sous les yeux ce document instructif : on y lisait que 10 milliards d'euros seraient nécessaires à l'abrogation de la loi Fillon sur les retraites, que 3 milliards permettraient d'augmenter le budget de la justice, qu'à peu près autant favoriseraient les énergies renouvelables etc etc... A l'époque, je ne faisais pas partie de ceux qui doutaient du sérieux de notre travail. Chère Martine, dans la perspective de la Convention du projet qui, au printemps 2011, hiérarchisera et financera le projet socialiste – étape dont nous avions fait l'économie en 2006-2007 –, je te donnerai tout à l'heure ce document d' époque dit « du chiffrage ». Je ne doute pas que dans les mois qui viennent, nous nous en inspirerons pour l'exigence nécessaire de sérieux...
De grâce, évitons entre nous les faux débats qui sont pour Sarkozy de vrais cadeaux ! La dernière fois où dans ce pays le déficit de l'Etat a été réduit, c'était dans le Gouvernement de Lionel Jospin avec deux ministres de l'Economie qui s'appelaient Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. La dernière fois où, dans ce pays, les comptes de la Sécurité sociale – 30 milliards d'euros d'ardoise aujourd'hui – ont été à l'équilibre, la ministre en charge du sujet s'appelait Martine Aubry. Depuis 2004, nous dirigeons la quasi-totalité des régions et plus de la moitié des départements : je n'ai pas eu l'impression qu'aux dernières élections régionales, nos concitoyens aient sanctionné je-ne-sais-quelle cavalerie budgétaire des élus socialistes. Ici-même à Paris, ville-capitale, il me semble que l'équipe qui entoure Bertrand Delanoe dispose du fameux AAA des agences de notation alors même que le nombre de places en crèche a doublé, que la nouvelle mobilité urbaine a été déployée avec Vélib et bientôt Autolib, que l'eau a été municipalisée, trois propositions contenues, précisément, dans le texte dont nous parlons ce soir.
Le sérieux, c'est de savoir que sur les 150 milliards d'euros de déficits, 50 sont imputables à la crise et 100 à la politique de la droite depuis 2002. Le sérieux, c'est aussi savoir que les marges de manœuvre existent : dépenses fiscales et autres allègements décidés par l'UMP depuis huit ans pour 35 milliards d'euros ; niches fiscales pour plus de 70 milliards d'euros ; coût de la fraude et de l'évasion fiscales qui représente, selon un récent rapport, 50 milliards d'euros de manque à gagner dans les finances publiques. Sans oublier – c'était l'un des volets fort de la Convention sur le nouveau modèle de développement – une fiscalité réorientée vers le pouvoir d'achat des ménages donc la consommation, vers l'investissement productif des entreprises, vers les collectivités locales qui représentent 70% des investissement publics dans notre pays et qui entendent bien continuer à faire tourner l'économie et l'emploi du pays.
Chers camarades, je conclus en vous disant ceci : l'objectif du PS en 2012, c'est de gouverner, pas seulement de gérer. Gouverner, c'est bien gérer et c'est vraiment transformer. Tous les socialistes sont des réalistes car le réalisme est le socle de la politique et parce le réalisme ce n'est pas courber l'échine face au réel. C'est pourquoi, ce texte est un bon texte et c'est pourquoi nous, socialistes, sommes sur la bonne voie.