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ET C'EST LÉGITIME (1ère partie).

Publié le par Stéphane GOMEZ

Après le succès de la grève parisienne sur les rythmes scolaires du 22 janvier dernier dans les écoles primaires, plusieurs personnes m'ont questionné sur les raisons de ce mécontentement non-anticipé et qui, après plusieurs mois d'une consultation réussie, prenait de court y compris les organisations syndicales. Force fut pour moi d'admettre, après 10 ans de militantisme syndical (bon, dans le second degré, mais tout de même!) que comme beaucoup j'étais pris au dépourvu…

 

Depuis, le mouvement a enflé, opposant professeurs dans les écoles et représentation syndicale, parents d'élèves et organisations de parents d'élèves, au point que plus personne ne semble comprendre ce qui se joue.

 

Car, a priori, tout le monde est favorable au retour aux 4 jours et demi, c'est l'intérêt de l'enfant. L'intérêt de l'enfant est au cœur de cette réforme, et c'est légitime. Aujourd'hui, tous les chrono-biologistes et pédagogues expliquent doctement que la semaine de 4 jours est une absurdité et qu'il faut revenir aux 4,5 jours. Certes, ces mêmes chrono-biologistes et pédagogues expliquaient doctement il y a 10 ans que la semaine de 4,5 jours était une absurdité et qu'il fallait d'urgence passer aux 4 jours, mais qui n'est pas autorisé à se tromper ou à changer d'avis même aux dépens des enfants ?

 

À titre personnel, mais je suis loin d'être spécialiste du sujet, il me semble que la proposition gouvernementale va dans le bon sens : un temps plus long pour mieux cadencer la semaine des enfants, en créant des temps de repos et des temps de développement culturel et sportif, des programmes scolaires repensés pour mieux tenir compte de ce nouveau rythme et sortir de l'empilement mal pensé ou pas pensé de ces dernières années. Avec cette réforme et plus globalement la réforme scolaire initiée par le Ministre de l'Éducation Nationale, on repense -enfin!- l'école, ses missions, et le rôle de l'éducation populaire qui retrouve sa place et ses lettres de noblesse. On pense un projet éducatif global et plus seulement un empilement de réformes déconnectées les unes des autres quand elles ne se contredisent pas, et c'est légitime.

 

Toute réforme suscite naturellement inquiétudes et interrogations corporatistes (au sens de « métier »), et c'est légitime. Mais coupons court dès le début : le corps enseignant n'est pas une profession corporatiste (au sens de « conservateur ») qui refuse a priori toute réforme. Bien au contraire : elles sont rares les professions qui connaissent à ce point et à ce rythme les réformes, auxquelles il faut s'adapter, la suivante arrivant avant que la précédente n'ait fini d'être appliquée. C'est probablement là l'inquiétude et l'interrogation corporatiste (au sens de « métier » : il faut suivre!) des professeurs : Quel sont le sens et la mission d'un métier qui toutes les années est bousculé, transformé ? Jusqu'à quel point le paravent de l'intérêt de l'élève peut servir d'alibi au recul des conditions de travail dans des réformes qui se succèdent et s'enchaînent sans cohérence ?

 

Alors qu'est-ce qui bloque si le principe de la réforme est partagé et que la consultation a eu longuement lieu ? Tout le reste ! Et c'est légitime !

 

Côté parents, on a pris ses habitudes, on s'est organisé. Finir plus tôt l'école, s'est remettre en cause les questions de garde (et donc potentiellement un coût) ; si la matinée supplémentaire est le samedi matin, cela remet en cause les week-ends tels qu'ils sont aujourd'hui. Les parents veulent être sûr que leur organisation de temps de journée et de temps de semaine ne soit pas remise en cause (quitte d'ailleurs parfois à ce que l'école ne servent plus que de halte garderie), et c'est légitime.

 

Côté Mairies, il y a le coût des activités mises en place sur le temps libéré qu'il faut gérer et budgétiser, avec l'équilibre à trouver entre services aux publics et pression fiscale locale. Il y a des questions concrètes d'animateurs disponibles ou à former, à ne pas employer aux dépenses des autres communes ou des centres sociaux et autres structures d'éducation populaire qui existent déjà. Les Villes sont au cœur de cette réforme, et c'est légitime ; elles veulent donc ne pas être seulement prestataires mais porter un projet d'éducation populaire et de lien social (enfin, pour celles qui ont déjà pris la peine de réfléchir à la réforme), et le faire dans un cadre financier et sociétal non-improvisé, et c'est légitime.

 

Côté enseignants, la profession -qui subit déjà une non-revalorisation salariale depuis 10 ans, une image dégradée auprès de l'opinion après le populisme anti-profs mené par ALLÈGRE, De ROBIEN, CHATEL ou SARKOZY, et qui n'a pas bénéficié de la réduction du temps de travail il y a 15 ans- veut aussi savoir quel est son intérêt de métier dans cette réforme, et c'est légitime. Depuis trop longtemps, on demande aux professeurs de tout accepter « dans l'intérêt de l'enfant » : suppressions de postes, hausse des effectifs par classe, pression pour des heures supplémentaires, non-financement des activités d'ouverture culturelle, non-revalorisation salariale,… Il y a toujours un moment où la goutte finit par faire déborder le vase, le moment où la feuille de vigne de « l'intérêt de l'enfant » ne cache plus la misère de l'école. Quel est l'intérêt pour les professeurs d'un rallongement de la pause méridienne ? Libérer plus de temps pour plus de réunions, consultations et autres formes déguisées de travail ? Les professeurs veulent que cette réforme soit enfin une amélioration de leurs conditions de travail, et c'est légitime.

 

Voilà toute la difficulté dans laquelle se trouve aujourd'hui le ministre de l'Éducation Nationale : sa réforme est probablement bonne et en tout cas elle est perçue comme légitime. Mais par les effets induits elle soulève aussi toute une série de questions légitimes. Dans un cadre financier plus souple, les réponses à ces interrogations seraient rapides et simples, mais nous ne sommes pas dans ce cadre idéal : l'École a beau être protégée dans la situation de redressement financier que nous connaissons, elle n'a pas les moyens financiers d'une telle réforme.

 

Le ministre, faute d'argent, doit-il se condamner à ne rien faire ? Sûrement pas, il veut porter un projet éducatif global et c'est légitime, c'est son rôle, c'est une nécessité. Reste pour lui maintenant à trouver comment répondre à toutes ces questions légitimes des parents, des municipalités et des professeurs, tout en gardant au cœur de son projet l'intérêt de l'enfant, et c'est légitime…

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