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Hommage à Jean POPEREN

Publié le par Stéphane GOMEZ

Le samedi 29 septembre dernier, les poperenistes organisaient à la Sorbonne, autour de Nathalie POPEREN, Alain Vidalies ou Emmanuel MAUREL, un hommage à Jean POPEREN, une réflexion sur son (riche) apport intellectuel à la Gauche, sur la pertinence de sa pensée dans notre société.
Le retour médiatique a été pour le moins... inexistant! Une des rares évocations, avec cet article d'Alexandre ADLER (sic) dans Le Figaro (re-sic).


La chronique d'Alexandre Adler

     Est-ce un bien, est-ce le signe d'un déclin ou d'une phase de transition prolongée, nous ne pouvons qu'être frappés par la rapide dissolution des identités politiques dans toutes les démocraties de l'Occident. L'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas connaissent « des grandes coalitions » qui semblent acceptées par les opinions publiques. Ailleurs, même lorsque l'alternance joue à plein, ne voit-on pas les partis en présence se rapprocher les uns des autres dans une concurrence plus mimétique que compétitive ?

     Les États-Unis s'acheminent vraisemblablement vers un conflit entre les deux candidats de New York, Hillary Clinton et Rudy Giuliani, l'une ayant soutenu initialement la guerre contre l'Irak, l'autre acceptant en matière de moeurs l'essentiel du programme démocrate ? C'est évidemment la France qui exprime le plus parfaitement ce moment d'effacement des identités avec l'élection d'un Nicolas Sarkozy qui aura coopté aux postes clefs les personnages souvent les plus emblématiques ou, à tout le moins, les mieux connus, de l'opposition de gauche.

     Rien ne paraîtrait plus opposé à cette tendance actuelle au mélange des identités que la haute figure du dirigeant socialiste Jean Poperen dont on célèbre en ce moment même le dixième anniversaire du décès. Si quelqu'un incarnait bien dans la vie politique la revendication - souvent austère - de convictions bien formées et enracinées dans l'humus de l'histoire, n'était-ce pas lui ? Encore fallait-il comprendre la subtilité et la complexité de son engagement. Breton laïcisé et identifié à la vocation d'instituteurs, comme naguère leurs ancêtres immédiats l'étaient à une prêtrise celte tout entière au service du peuple, les Poperen - car il faut ici aussi invoquer le père et le frère Claude - accumulaient sur plusieurs générations une singulière expérience.

     Le père de Jean était le modèle même de l'éducateur anarcho-syndicaliste qui avait poussé jusqu'à l'extrême logique les principes mêmes que lui avait inculqués la IIIe République : coopération des groupes à un avenir meilleur, mais fondée sur le strict volontariat, et autonomie absolue des individus, fruit d'une liberté de conscience arrachée à une église bien établie. C'est la raison pour laquelle, tout dévoué à la classe ouvrière qu'il fût, le père de Jean Poperen ne fit pas longtemps bon ménage avec le Parti communiste qu'il avait rejoint dès sa fondation. À celui-ci il reprochait son centralisme, son autoritarisme, sa militarisation, qu'il jugeait extérieurs à la tradition ouvrière et démocratique française.

     Enfants médusés du Front populaire de Munich et de l'instauration de Vichy, ses deux fils, Jean et Claude, ne parvinrent pas à maintenir cette distance. Si Claude choisit la condition ouvrière et les usines Renault pour y mener le bon combat de syndicaliste qui le conduisit jusqu'au bureau politique du Parti communiste, Jean, pour sa part, s'évada du destin d'instituteur et des idées anarcho-syndicalistes en devenant khâgneux puis agrégé d'histoire, jeune résistant puis cadre communiste.

     À la tête des étudiants communistes parisiens à la Libération, aux côtés de ses proches amis, François Furet, Annie Kriegel ou encore Olivier Revault d'Alonnes, il exprimait toute la fougue mais aussi l'aveuglement volontaire d'une génération que l'orage communiste avait semblé rendre sourde aux excès pourtant déjà perceptibles de l'autorité stalinienne. Mais, quand une brève mais saisissante expérience au Kominform à Bucarest, au moment même de la mort du tyran et des derniers procès qui s'abattent sur l'Empire soviétique, l'aura enfin dessillé, alors Jean Poperen manifestera les qualités intellectuelles les plus pures, les plus décisives.

     Dans le désarroi général provoqué par la crise de 1956, il est le seul dirigeant communiste à tracer un chemin cohérent et intransigeant : pas d'acharnement thérapeutique dans une opposition interne vouée à la conspiration, pas de retour individualiste à la spéculation purement intellectuelle, pas de fureur gauchiste qui est le prix que beaucoup acquitteront en termes de lucidité à la liberté retrouvée de penser et de sentir, mais bien un dessein qui renoue en réalité avec les idées fondamentales de son père, délestées de leur utopisme « Belle Époque ».

     Pour Jean Poperen, la gauche est un tissu unitaire qui s'étend du coeur du Parti communiste au vieux jacobinisme républicain de la SFIO en passant par la nouvelle gauche née de la guerre d'Algérie. Dans ce tissu unitaire, un fil rouge : la refondation du rôle central de la démocratie. Cette intuition l'aura conduit à une longue odyssée dans le mouvement socialiste. Mais elle se fondait d'abord sur l'Iliade d'un jeune résistant communiste fidèle à la tradition française du pluralisme et intransigeant dans sa défense du respect des autres.

     C'est ce qui fait le legs si précieux de Jean Poperen aujourd'hui : on aimerait savoir ce qu'il aurait pensé d'une époque de si grande confluence ou, précisément, parce que les cartes se redistribuent, la première exigence du politique devrait résider dans l'absolue rigueur des choix et la recherche de ce langage pédagogique, celui-là même qu'avaient inventé nos instituteurs et qui est l'enveloppe nécessaire de l'idée démocratique dans notre République.
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