Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le péril royal

Publié le par Stéphane GOMEZ


Point de vue

Le péril Royal, par Alexis Dalem

LE MONDE | 25.08.06 | 12h40

   
     La popularité de Ségolène Royal place le Parti socialiste dans une situation périlleuse. Alors que beaucoup de militants et de sympathisants se disent : "Elle est la seule à pouvoir gagner contre Nicolas Sarkozy", c'est probablement le contraire qui est vrai. Si elle était désignée, sa défaite serait presque assurée. Pourquoi ? Parce que son discours politique est en décalage avec les grandes attentes des électeurs potentiels de la gauche. Les sondages renvoient une popularité flatteuse, mais ils n'ont aucune valeur prédictive avant le début de la campagne électorale. L'opinion publique reste pour l'instant en apesanteur et se laisse séduire par l'accessoire. C'est seulement lorsque le débat politique montera en intensité que se révéleront les clivages fondamentaux et les tendances profondes. Alors apparaîtra le décalage entre Mme Royal et l'électorat de gauche. Le problème, c'est que, entre-temps, elle aura peut-être été désignée par son parti. Les socialistes doivent éviter ce piège.

     Depuis 2002, les principaux événements politiques qui ont secoué la société française ont traduit, de la part des sympathisants et électeurs potentiels de la gauche, une triple attente. Politique tout d'abord, c'est-à-dire une attente de débats de fond sur l'état du monde et de la France, une demande d'action et de volontarisme et une demande de repères et de valeurs permettant de reconstruire du collectif. Une attente de changement à gauche ensuite, c'est-à-dire d'alternative face à ce qui est vécu comme la domination du capitalisme libéral et mondialisé. Une attente de renouvellement du politique, notamment à travers des évolutions institutionnelles - fin de la présidence monarchique, montée en puissance des contre-pouvoirs, rôle accru des corps intermédiaires.

     Prenons quelques exemples. Lionel Jospin, avant le premier tour de l'élection présidentielle de 2002, affirme : "Mon projet n'est pas socialiste." Résultat : très populaire quelques mois avant l'élection, son déphasage avec l'électorat apparaît dans les dernières semaines de la campagne et il est éliminé. Autres exemples de ces attentes de la gauche : le rejet du traité constitutionnel européen en 2005, interprété majoritairement à gauche comme le cheval de Troie de la mondialisation libérale, le conflit du CPE en 2006, qui révèle l'attachement à un modèle social garantissant un certain niveau de sécurité, enfin, la crise des banlieues en novembre 2005, qui traduit une demande de politique et une demande d'égalité de la part des nouveaux exclus de la République.

     Or la personnalité socialiste la plus populaire incarne des orientations inverses : dépolitisation - "peopolisation" du politique, aspiration à l'unanimisme et méfiance à l'égard des grands débats, préférence pour le local, la technique et le quotidien - et centrisme -, critique des 35 heures, appel à plus de flexibilité au travail (et absence de critique du CPE dans un premier temps), critique du rôle de l'Etat, posture droitière sur la sécurité. Elle prétend renouveler la gauche, mais elle prend comme modèle Tony Blair.

     Quant à la prétention de Mme Royal à incarner le renouvellement du politique, c'est une opération d'illusionnisme, comme le révèle sa gestion de la région Poitou-Charentes. Elle affiche son soutien à la démocratie participative, mais elle pratique la centralisation et la personnalisation du pouvoir. Championne des coups médiatiques, elle calibre son discours en fonction des études d'opinion, ce qui la conduit d'ailleurs à se contredire.

     Dépolitisation et centrisme contre attente de politique et de changement à gauche ; pratique "chiraquienne" de la démocratie d'opinion contre attente de renouvellement de la politique : les contradictions sont manifestes. La popularité de Ségolène Royal ne traduit pas une tendance de fond ou une évolution de société, mais relève du malentendu. Reste à comprendre comment ce malentendu a pu s'installer.

     Ségolène Royal est, tout d'abord, la candidate rêvée de la droite et de Nicolas Sarkozy. Elle reprend et légitime le discours du ministre de l'intérieur sur la sécurité, les 35 heures ou la place de l'Etat dans l'économie. Alors qu'il est aguerri, elle n'a qu'une faible expérience des campagnes électorales nationales et de l'action gouvernementale de haut niveau. Voilà pourquoi la droite l'a jusqu'à présent peu critiquée. Elle continuera de s'abstenir jusqu'à la désignation. Dès le lendemain, pourtant...

     Mais la principale raison qui explique la popularité de Ségolène Royal tient à la situation interne du Parti socialiste. Depuis 2002, celui-ci a peiné à s'imposer dans le paysage politique comme une force de gouvernement crédible face à la droite. Un double diagnostic s'est installé : les socialistes n'auraient rien à proposer et le PS souffrirait de la division de ses chefs. Cette image, c'est le résultat de plus de dix ans de hollando-jospinisme. Alors que Lionel Jospin a abandonné le parti en piteux état en 2002, l'action du premier secrétaire qu'il a installé - François Hollande - a encore aggravé la crise. Aucun véritable bilan du jospinisme n'a été établi. Pis, faute de stature politique, de vision à long terme et d'épaisseur intellectuelle, François Hollande n'a jamais réussi à établir une crédibilité politique. Il a pallié cette absence par une stratégie de division qui lui permettait de s'imposer comme recours en forme de "plus petit dénominateur commun". Cette stratégie a culminé lorsqu'il a provoqué un référendum sur la Constitution européenne.

     C'est seulement dans le contexte d'un parti déboussolé par dix ans d'errements que Ségolène Royal peut aujourd'hui apparaître comme un recours. Elle n'est en réalité que le dernier avatar de cette crise. Si elle était désignée, elle porterait probablement le coup de grâce, en déportant l'idéologie du parti sur la droite et en le conduisant ainsi à une nouvelle défaite. Dernier paradoxe : elle propose de mettre à la retraite les "éléphants" - au premier chef Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn -, alors que ce sont eux qui ont permis au PS de rester, malgré tout, un lieu de réflexion et de proposition depuis 2002. Ce n'est pas un hasard si l'essentiel du contenu du projet provient d'eux et de leurs équipes.

     Le passif du hollando-jospinisme, dont la popularité illusoire de Ségolène Royal est le dernier rejeton, doit être soldé pour que le socialisme français sorte de la crise. Espérons que l'électrochoc d'une nouvelle défaite électorale ne sera pas nécessaire pour y parvenir et que les semaines qui nous séparent de la désignation permettront à chacun d'y voir plus clair.

Alexis Dalem, politiste, est corédacteur en chef de "La Revue socialiste".
Commenter cet article