Ni kärcher, ni martinet
24 JUIN 2006
Laurent FABIUS
Chers amis et camarades,
Dans un an à la même époque la France aura un nouveau Président. Une majorité parlementaire nouvelle se mettra en place. Le Premier Ministre soumettra son programme de législature à l’Assemblée Nationale. Le premier sommet européen de l’après-Chirac se réunira. Les premières décisions seront prises. Le calendrier est prêt. Il reste l’essentiel : gauche ou droite ? Et pour la gauche, qui et pour faire quoi ? C’est cela dont je veux vous parler ce soir, et, à travers vous, à tous les Français.
Je ne perdrai pas de temps, je ne gaspillerai pas d’énergie à décrire en détail le passif du pouvoir actuel. Il est connu, il est perçu au-delà même de nos frontières et il est vécu douloureusement par nos concitoyens. Il s’alourdit chaque jour un peu plus avec des comportements lamentables : amnistie pour les amis, scandales financiers en tous genres, coups tordus, insultes aux représentants de l’opposition qui sont aussi ceux de la nation, cohésion sociale en miettes, croissance faible, déficits explosifs. C’est un climat de fin de règne pour le clan qui, en 1995, a mis la main sur le pays. Une ambiance de fin de régime
pour la Vème République affaiblie comme jamais. Les Français en ont assez. C’est bien autour du changement que se joueront les élections de 2007.
C’est autour du changement – un vrai changement – que la gauche devra convaincre. C’est autour du changement – mais vers la violence – que l’extrême droite, silencieuse et toujours dangereuse, mènera la bataille. C’est autour du changement que M. Sarkozy médiatisera sa propagande pour la France d’après, alors qu’il est co-responsable des graves difficultés de la France d’avant et de maintenant. Et il poussera la supercherie jusqu’à parler de « rupture », lui qui depuis tant d’années est non seulement au pouvoir mais le pouvoir.
Oui, supercherie. Un changement profond est réclamé par rapport à la politique actuelle ; et la Droite voudrait nous faire croire qu’il pourrait être porté par le chef de cette majorité ! L’homme du Karcher et du charter, rebaptisé candidat du dialogue ! Le spécialiste des cadeaux fiscaux pour les plus riches, autoproclamé bienfaiteur du pouvoir d’achat des ouvriers et des employés ! Le recordman des déficits et de la dette métamorphosé en artisan du redressement ! Les violences contre les personnes miraculeusement réduites par celui qui depuis 4 années y échoue ! La réalité est que notre adversaire probable, celui qu’une majorité de Français trouvent inquiétant, M. Sarkozy, est d’abord M. Supercherie.
Car le vrai projet de la droite, ce sont 3 idées simples et mauvaises.
D’abord, le libéralisme économique sans limites, c’est-à-dire la précarité tous azimuts. Face à la mondialisation financière, face aux bouleversements économiques et sociaux, la droite n’a qu’une réponse : il faut davantage de précarité. Pour lutter contre la concurrence exacerbée, contre le dumping et les délocalisations, il faudrait réduire nos protections, abaisser notre niveau social et démanteler les services publics ! Comme si les salaires et les retraites n’apportaient pas du pouvoir d’achat, nécessaire pour la croissance et pour la justice ! Comme si les services publics et ceux qui les font vivre au quotidien, dont la droite fait sa cible, n’étaient pas un investissement dans la connaissance, dans la santé, dans la sécurité ou dans les transports ! Comme si l’homme devait être au service de l’économie, plutôt que l’inverse.
La deuxième idée maîtresse, c’est le communautarisme. Pour les libéraux, l’Etat doit reculer partout. Une fois l’Etat marginalisé, il reviendrait aux « communautés » de prendre le relais. Ce n’est pas un hasard si ces libéraux sont souvent aussi des communautaristes. Ils se prétendent apôtres des libertés et c’est vrai qu’ils en prennent avec la laïcité ! Nous respectons les religions ; mais ils voudraient, eux, que les autorités religieuses soient peu à peu chargées d’assurer le calme dans les quartiers. Il voudraient que pour l’enseignement, le confessionnel prenne le pas sur le service public ! Nous n’accepterons pas, nous, que le communautarisme se substitue à la République.
Libéralisme, communautarisme, atlantisme. Puisque l’inspiration de M. Sarkozy vient des conservateurs américains, la politique étrangère doit aller avec. En Europe, il voudrait substituer au couple franco-allemand une sorte de directoire avec la Grande-Bretagne et la Pologne. On voit à quel genre d’expédition ce type d’alliances nous conduirait ! Se profile un élargissement indéfini de l’Union, transformée en zone de libre échange sans règles sociales ni volonté politique autonome ; avec en fond de paysage l’unilatéralisme américain et la domination de l’OTAN que ni F. Mitterrand, ni L. Jospin, ni moi n’avons jamais acceptée. Choisir cette voie, ce serait tourner le dos à ce que j’appelle l’Europe-levier, à la France universaliste, au monde pacifique et progressiste dont nous avons un si pressant besoin, à l’internationalisme qui est la vraie réponse à la mondialisation libérale. La France doit rester indépendante, l’Europe doit devenir puissante : telle est notre feuille de route parce que là est notre identité, notre volonté, notre histoire et notre destin.
Chers amis, le projet de société que nous portons, que je veux porter pour le PS et pour la gauche, est à l’opposé de celui-la. Au libéralisme, j’oppose la solidarité durable ; au communautarisme, la laïcité républicaine ; à l’atlantisme, la volonté européenne.
Je refuse donc, comme beaucoup de militants socialistes anciens ou nouveaux, une campagne de confusion où notre porte-parole, l’œil rivé sur les sondages, s’efforcerait de coller à l’ensemble des aspirations dans le cadre d’un discours en zigzag, ajoutant selon les moments et les endroits des mots de droite à des adjectifs de gauche et inversement. Les Français ne sont pas des parts de marché, le suffrage universel n’est pas l’audimat. Je souhaite une campagne de différenciation assumée et de convictions claires, qui permette un vrai choix aux socialistes d’abord, puis à l’ensemble des Français. C’est le pari que fait notre projet et c’est pourquoi je me sens en phase avec la politique qu’il contient. Un projet de gauche pour une stratégie de gauche. J’en ai moi-même proposé le titre : « réussir ensemble le changement ». Ce sera un excellent mot d’ordre pour notre campagne, partout en France.
« Réussir ». On peut gagner des élections sur un rejet ; mais on ne peut « réussir » que sur un projet. Or, nous devons réussir pour répondre à l’attente d’abord des Français modestes, fragiles, et les satisfaire dans la durée. Tirons les leçons de l’élection manquée de 2002. Parlons de la France, parlons à la France, aux ouvriers, aux employés, aux agriculteurs, aux artisans, aux entrepreneurs, à la France des jeunes et des retraités, du service public et du secteur privé, aux cadres, aux sans-emploi, aux créateurs et aux chercheurs. Nous n’avons pas à les convaincre que le Parti Socialiste et la gauche sont capables de gouverner – ils le savent ; nous avons à leur prouver que nous voulons vraiment transformer en profondeur notre pays. A nous de faire partager notre refus de la fatalité et nos solutions.
Expliquons comment nous allons réussir « ensemble ». « Ensemble » c’est-à-dire en rassemblant politiquement toute la gauche. On ne peut rassembler que sur un contenu de gauche, c’est-à-dire ni sarkozyste ni blairiste. Ce contenu, c’est l’alternative au libéralisme qui précarise la France, fragilise l’Europe et divise le monde en deux : les sans cauchemars et les sans espoirs. Cette fatalité peut être stoppée et cette réalité changée. « Ensemble », la gauche. Cela suppose que ceux qui incarnent la gauche, à la base et au sommet, se retrouvent sur un programme d’action et, pour ceux qui le souhaitent et l’acceptent, au Gouvernement : l’unité – ne l’oubliez jamais ! – c’est la clé de 1936, de 1981 et de tous les succès. Cela impose de la part du Parti Socialiste un ancrage à gauche pour aujourd’hui et pour demain, et non une aventure vers l’extrême centre. « Ensemble », tous les socialistes. Nous devrons associer à notre campagne électorale puis au gouvernement toutes les sensibilités socialistes, parce que ce qui importe quand on pense à servir son pays, ce sont les talents et non les courants. « Ensemble » les Français, leurs syndicats, leurs associations, les élus locaux, en métropole comme outre-mer, avec lesquels nous pratiquerons la concertation, la négociation, la responsabilité : nous construirons l’avenir avec les Français. Dans cet esprit de participation, deux référendums auront lieu, l’un dans les six premiers mois, pour établir une République nouvelle, plus démocratique, qui sera une République parlementaire ; l’autre pour soumettre à nos concitoyens un nouveau projet de Constitution européenne qui tire les conséquences du vote des Français en 2005. Je ne propose donc pas un rendez-vous unique en 2007, puis plus rien pendant 5 ans, je souhaite une démocratie participative, en continu, pour une France
résolue à changer. Car il nous faut progresser, protéger, partager.
« Réussir ensemble le changement », voilà ce que la France attend. C’est le cœur de notre projet dont la force sera plus grande grâce à l’arrivée des nouveaux adhérents. Candidat socialiste à l’investiture présidentielle, je souhaite être le candidat de mesures concrètes et simples. Des mesures immédiatement réalisables pour beaucoup et qui changeront la donne.
• Mesure concrète, l’augmentation du Smic à au moins 1500 € avant la fin de la prochain législature, ainsi que celle des pensions et des salaires modestes et moyens. J’ai proposé cette augmentation. Certains l’ont contestée. Elle est maintenant plébiscitée. Mais les salariés s’interrogent : la fera- t-on vraiment ? Et quel effet sur l’économie ? Je veillerai à ce qu’elle soit réelle, rapide et réaliste. Je veillerai à ce qu’elle ne tire pas les autres salariés vers le bas. Je propose que dès l’été 2007, nous augmentions le SMIC de 6 %, soit plus du double de ce que serait son évolution normale. Cette augmentation sera réalisée sans alourdir le coût du travail dans les petites et moyennes entreprises, pour lesquelles des exonérations de charges doivent donc être prévues. A l’autre extrême, les rémunérations indécentes de certains dirigeants salariés devront être rendues vraiment transparentes et encadrées.
• Mesure concrète : un logement décent pour chacun. Ma commune compte plus de 70 % de logements sociaux, celle de M. Sarkozy moins de 3 %. Nous avons besoin de terrains moins chers, de constructions bon marché plus nombreuses, d’aides au logement revalorisées, d’un véritable « bouclier logement » pour les plus modestes. Les maires qui refusent ces constructions seront privés de subventions publiques dès la première année de l’alternance. Et que l’on ne dise pas que c’est impossible : ici-même, en Seine-Maritime, le Conseil général met en œuvre cette décision ! Il faudra demain l’étendre à tout le pays.
• Mesure concrète : un emploi ou une formation, notamment pour chaque jeune qu’il faudra accompagner afin d’entrer dans la vie active. La croissance sera soutenue à la fois par le pouvoir d’achat et par l’investissement des entreprises. Nous avons évidemment besoin des entreprises et des entrepreneurs. Une croissance durable pour l’emploi. Ne dissimulons pas que cela demandera beaucoup d’efforts. Le travail sera encouragé, et les contrats précaires pénalisés. Le CNE sera abrogé. Nous mettrons en oeuvre la sécurité professionnelle. Une Conférence Sociale se réunira dans les 3 mois après l’alternance.
• Mesure concrète : une éducation nationale aux moyens accrus. Ce sera notre premier projet et notre premier budget. Nous encouragerons les enseignants au lieu de les dénigrer ou de les transformer en « animateurs scolaires ». Ils seront secondés par des adultes plus nombreux dans les établissements mais il n’y aura pas de confusion des rôles et des genres – le scolaire n’est pas le militaire. Dès 2007, le budget sera renforcé pour l’éducation nationale, pour la culture et pour la recherche. Il sera allégé pour la défense, parce qu’il y existe de vraies marges de manœuvre sans désarmer en rien notre Nation.
• Mesure concrète : pour l’énergie et pour la lutte contre le réchauffement climatique l’effort en faveur des énergies renouvelables sera multiplié par 10 dans les 5 ans de la législature. L’utilisation des OGM pour les cultures de plein champ devra être arrêtée sans délai. Mettons en œuvre ces mesures concrètes, et vous verrez que le changement porté par le projet et par le candidat socialistes sera massivement soutenu.
Est-ce à dire que notre projet est déjà parfait à 100 % ? Il reste bien sûr à l’enrichir ! Par rapport au texte qui nous est soumis, les réponses à la mondialisation libérale devront être renforcées. La social-écologie, mieux affirmée. Les encouragements à l’activité des PME et des artisans, mieux distingués de la situation des grandes entreprises. La dépendance des personnes âgées pleinement prise en compte, de même que le handicap.
Les marges de manœuvre recensées, même si nos priorités sont financées – notamment par la relance de la croissance, par la remise en cause des cadeaux fiscaux de la droite aux plus fortunés, par la fin des exonérations de cotisations sociales pour les grandes entreprises dont l’impact sur l’emploi est faible ou illusoire et par un réexamen d’efficacité de toutes les dépenses de l’Etat.
Pour autant, je le répète, ce projet opère, dans l’ensemble, des choix avec lesquels je me sens pleinement à l’aise, que je veux mettre en œuvre, car je les crois indispensables. Je ne suis donc pas d’accord avec ceux des dirigeantes ou des dirigeants qui, sous prétexte de commenter le projet socialiste, commencent par le contredire et l’amoindrir. S’il faut avoir un débat, ayons-le maintenant. Mais il serait dommage que l’encre du projet à peine sèche, on nous explique qu’il est trop cher ou trop à gauche ; que, pour telle proposition importante : « on verra plus tard » ; et pour telle autre : « cela peut attendre ». Non, la mondialisation financière ne sera pas heureuse comme par enchantement et il faudra lutter fort pour la réguler et l’humaniser. Non, l’abrogation des lois les plus injustes de la droite ne sera pas éventuelle, mais réelle. Non, on ne peut pas affirmer d’un côté que l’on souhaite, dans les discours, un Etat plus actif et de l’autre que l’on ajournera, dans les actes, la renationalisation d’EDF-GDF : nous faisons ce choix, qui ne pèsera pas sur le budget, parce que dans la préparation de l’après pétrole, l’Etat ne doit pas être subordonné au marché. Non, la décentralisation ne
consiste pas à renforcer le « local » pour abaisser l’Etat, mais à s’appuyer sur les collectivités pour le l’épauler dans ses missions au service des citoyens. Non, notre campagne ne copiera pas concernant la sécurité les méthodes de droite qui ont échoué, et c’est sur l’économique et
le social que nous insisterons d’abord. Ne remplaçons pas le politique par le médiatique. Ne
mélangeons pas notre gauche et notre droite. En ce qui me concerne, je le dis clairement :
mon projet sera le projet des socialistes.
Un projet n’est pas un programme ; c’est d’abord une réponse en termes de valeurs. Le socialisme est aussi ancien que la lutte contre l’injustice. Nos valeurs ne sont pas dépassées, elles sont actuelles. Raison de plus pour les réaffirmer.
La première s’appelle l’égalité. La mondialisation libérale accroît les inégalités entre pays et au sein de chaque nation. Dans un monde qui n’a jamais autant produit, 2 milliards de femmes et d’hommes ont faim ; en France, pays riche, au moins 2 millions d’enfants pauvres et plus de 3 millions de mal logés ! L’inégalité, c’est l’injustice ; l’inégalité, c’est la violence. Nous voulons, nous, plus d’égalité. Cela implique des règles, une organisation aux niveaux mondial, européen, national. C’est pourquoi nous revendiquons l’intervention publique, nous agissons pour et par une société régulée.
Les discriminations, quelles qu’elles soient, sont inacceptables. C’est vrai par exemple en matière de mœurs et d’égalité des droits, pour tous les couples, au mariage et à l’adoption : je veux le dire particulièrement en ce jour.
Nous voulons la liberté, pas celle du renard libre dans le poulailler prétendument libre, mais, en ce soixante dixième anniversaire du Front Populaire, la liberté telle que l’entendait Léon Blum, l’homme des congés payés et du Front populaire : « une société qui veut apporter à l’homme la liberté doit commencer par lui garantir l’existence ». Liberté de pensée et de communiquer, liberté d’agir et de travailler, liberté de mœurs, liberté d’accès à l’internet et libertés électroniques, liberté d’innover,… toutes les libertés dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à la liberté d’autrui. C’est pourquoi nous sommes et nous serons toujours du côté des créateurs, du côté de la jeunesse qui est l’âge et l’agent des libertés.
Nos valeurs s’appellent la laïcité, qui n’est pas une opinion parmi d’autres, mais celle qui garantit toutes les autres. La laïcité n’a pas à être qualifiée par un adjectif, fut-ce « moderne », « responsable », « ouverte » : la laïcité tout simplement, qui sera garantie par une Charte, et mise en exergue dans le service civique obligatoire. Combien de conflits dans le monde liés à la confusion entre politique et religion ! Et nous, nous possédons ce trésor qui s’appelle la laïcité. Protégeons-la. Expliquons-la. C’est le meilleur rempart contre les violences et les guerres, pour ceux qui veulent, sans naïveté, un monde de concorde et de paix.
Nos valeurs s’appellent la solidarité, entre citoyens d’une même commune, d’une même région, ressortissants d’une même nation, entre frères et soeurs de continents différents et de générations différentes. C’est pourquoi nous pratiquerons la solidarité durable. Nous serons des « écologistes » au sens étymologique, soucieux de tout ce qui nous entoure, dépositaires et non pas possesseurs de la nature, résolus à n’agir ni en égoïstes ni en prédateurs, mais en gardiens et en sages. Soyons fiers de nos valeurs. Revendiquons-les. Appliquons-les.
Nos valeurs s’appellent l’Europe sociale et démocratique. Par deux fois, en 2004 lors des élections au Parlement européen, puis en 2005 lors du référendum sur la Constitution européenne, une majorité de Français, d’électeurs de gauche et d’électeurs socialistes ont dit non seulement leur préférence, mais leur exigence : l’Europe, une Europe sociale et démocratique, doit compter dans le monde et elle ne pèsera pas si elle s’aligne sur le libéralisme financier, celui de tous les moins disants – économiques, sociaux, environnementaux, culturels. Le vote des Français s’impose à tous et d’abord à ceux qui, en 2007, se présenteront à leurs suffrages. Les 25 chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union viennent de décider qu’une renégociation du traité constitutionnel aura lieu – c’est donc qu’elle était possible ! –, qui devra s’achever fin 2008 sous présidence française. Si avec le gouvernement j’ai à conduire cette négociation face à nos partenaires pour aboutir à une relance européenne, à la table des discussions je ne serai pas, moi, en contradiction mais en adéquation avec le vote du peuple français, ce qui permettra à la France de peser et non, comme c’est le cas aujourd’hui avec Jacques Chirac, d’être affaiblie par un président que les Français n’ont pas suivi. Contrairement à M. Sarkozy, je ne me contenterai pas d’un Traité minimaliste, soumis au Parlement, pour une Europe en peau de chagrin ; il nous faut une vraie et bonne Constitution pour l’Europe, et cette Constitution devra être ratifiée par les Français, par le dernier mot, en démocratie, doit revenir au peuple souverain.
Ces valeurs rappelées dans notre projet ne nous éloignent pas de la politique, au contraire elles nous en rapprochent. C’est parce qu’elles sont les nôtres que nous n’aurons pas le même comportement que la droite et l’extrême droite par exemple face à l’immigration. L’immigré n’est pas un ennemi, mais une personne qui souvent a dû quitter son pays, poussée par les circonstances, l’oppression, la misère. Le premier commandement face à l’immigration est donc de comprendre qu’il nous faut agir davantage et mieux pour aider les pays pauvres. Nous le ferons en accroissant et en améliorant notre appui. Nous traiterons avec respect les migrants qui se trouvent régulièrement sur notre sol. Ils méritent qu’on agisse contre toutes les discriminations dont ils sont victimes, eux et leurs enfants parfois scandaleusement arrachés de leur école, et il est légitime - il est même grand temps - qu’aux élections locales ils aient enfin le droit de vote. Quant aux filières clandestines relevant des marchands d’esclaves, nous serons inflexibles à leur égard. La loi Sarkozy ne réduira pas le nombre des clandestins, elle l’augmente ; elle sera remise en cause. Il faudra bien aussi, le moment venu et d’une façon responsable, régulariser ceux dont on sait qu’ils resteront finalement sur notre sol et qui y sont présents depuis des années. La France est riche de sa diversité. N’abandonnons pas ce « marqueur » de la gauche et cette exigence de la République. Soyons fermes et soyons humains.
Chers amis,
Une élection présidentielle, ce sont aussi des candidats. Rien n’est joué d’avance et notre destin est entre nos mains. A l’approche de chaque élection, de bons esprits donnent le résultat des votes avant qu’ils aient lieu ; neuf fois sur dix ils se trompent. Ce sont les mêmes qui nous disaient hier que le "Oui" l’avait déjà emporté au référendum constitutionnel, et avant-hier que M. Balladur était déjà à l’Elysée. Les jeux seraient donc faits et les couvertures des magazines déjà imprimées. L’ennui, c’est que les Français ne se sont pas prononcés, pas plus que les adhérents du Parti Socialiste. L’ennui, c’est que les Français n’aiment pas qu’on écrive l’histoire à leur place. Ceux qui disent que la messe est dite ont au moins deux problèmes : l’un avec la laïcité, l’autre avec la démocratie. Eh bien, moi, je crois en la capacité à convaincre, je crois en l’utilité du politique, et je vous dis : défendez fraternellement vos idées, portez haut vos couleurs, ne vous laissez pas impressionner. Tout commence. Nous sommes là, ensemble, parce que nous pensons que le Parti Socialiste, la gauche, la République et la France peuvent réaliser de grandes choses. Nous sommes là parce que nous voulons redonner une espérance et une fierté à nos compatriotes que l’on dépossède de l’une et de l’autre.
Nos idées ont progressé. Dès 2002, j’avais souligné qu’il fallait partir à « la reconquête des électeurs qui nous avaient sanctionnés » le 21 avril, en particulier les couches populaires et les enseignants. Dès 2003, j’ai dit la nécessité d’une « opposition frontale » à la droite et cette ligne sans concession a facilité les beaux succès collectifs de nos candidates et candidats aux élections l’année suivante. Au Congrès de Dijon, j’ai voulu que nous soyons « le parti de la laïcité » contre le communautarisme : à l’époque beaucoup, et non des moindres, avaient une vision différente, refusant l’interdiction du port des signes religieux dans nos écoles ; la laïcité est désormais en bonne place dans notre projet. En 2004, « j’ai refusé la dérive libérale de l’Europe » : la majorité des électeurs de gauche en ont fait autant le 29 mai et notre projet est désormais clair sur ce point. En 2005, ici à Grand-Quevilly, j’ai demandé que la priorité soit donnée au social – « un emploi, un logement, un savoir » – et là encore, notre projet en porte la marque. Lors de notre Congrès du Mans, j’ai proposé « le SMIC à 1500 € » et la stratégie de « rassemblement à gauche » à l’exclusion de toute alliance de revers ; certains m’ont critiqué, mais je constate aujourd’hui que le projet des socialistes va dans ce sens – tant mieux ! Ce rassemblement reste à construire et ce n’est certainement pas en chapitrant nos alliés naturels –communistes, verts, radicaux, citoyens – tout en laissant entendre que nous n’appliquerions pas nous-mêmes notre projet que nous pourrons les unir dans un contrat de gouvernement. Enfin, plus récemment, j’ai plaidé avec d’autres pour « une République parlementaire nouvelle » et, là encore, alors que certains hésitaient, penchaient pour un régime présidentiel, voulaient s’en tenir à des aménagements à la marge ou à quelques bonnes pratiques locales ou électroniques, nous avons obtenu gain de cause. Grâce aux militants, nos idées progressent, notre mobilisation est utile : voilà une raison d’être plus déterminé que jamais. Le fait que ces propositions soient au cœur du projet constitue une excellente nouvelle, non pas pour nous-mêmes, mais pour les Français et d’abord pour les femmes et les hommes dont nous voulons améliorer la vie et changer l’avenir.
Je n’ignore pas qu’on formule parfois à mon égard certaines objections – même si c’est très rare ! -, notamment une présence politique déjà un peu longue. C’est d’autant plus amusant quand celles et ceux qui nourrissent ces griefs occupaient parfois un bureau proche du mien au début des années 1980. Mais, c’est vrai, je le confesse, quand François Mitterrand m’a demandé de l’accompagner dans son chemin pour la gauche et pour la France, je n’étais encore qu’un jeune homme. Grâce à sa confiance, j’ai pu agir et apprendre à ses côtés, avec un esprit de paix et de justice, avec cet amour de la France sans lequel il n’y a pas de service du pays. Comme d’autres, comme chacun d’entre nous dans sa vie, j’ai connu des réussites et j’ai affronté des revers. L’expérience, si on sait en tirer les leçons, n’est pas inutile et je me
sens prêt. Il y a près de trois décennies que je suis l’élu de cette ville ouvrière que j’aime, devrais-je en rougir ? J’en suis fier ! Reproche-t-on à un boulanger ou à un professeur de remplir avec constance leur tâche ? Non et à juste titre : parce que l’expérience – et les épreuves qui vont avec – est un atout, à condition de la mettre au service d’un projet et d’un idéal qui dépasse nos personnes. Je souhaite, par un vrai changement, permettre un progrès partagé pour une France redevenue solide et solidaire, une France qui sera de nouveau en tête. Je ne cours pas après les honneurs, je les ai tous connus de près. Mais je vois que mon pays va mal et je pense savoir comment le remettre sur pied, avec tous les socialistes, toute la gauche, avec vous tous et la fantastique énergie libérée des Français.
On me dit aussi: « vous avez changé » – est-ce une critique ou un compliment ? Sur le plan des valeurs et des convictions, je n’ai pas changé au cours de ces années et je ne changerai
pas : je suis socialiste, républicain et laïc ; je suis pro-européen et internationaliste. Mais, dans
les modalités de notre action, je reconnais que je tire les leçons de l’expérience et que je tiens
compte des mutations autour de nous. « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le
réel » disait Jaurès. Je le revendique. Le capitalisme est plus puissant, plus mondial, plus financier, plus brutal qu’il y a 20 ans : il faut donc que nous soyons encore plus volontaires et pas seulement dans les paroles ou les postures, mais dans nos actes. Les risques d’une Europe ventre-mou du libéralisme sont plus forts qu’il y a 10 ans : il faut donc que nous soyons encore plus déterminés. Le service public est remis en cause : il faut donc résister avec encore davantage de fermeté pour le réaffirmer. Le retard scientifique et entrepreneurial de notre pays s’accroît : il faut de plus en plus que la gauche innove et entreprenne. Nous avons accompli de grandes choses, mais aussi commis des erreurs : nous devons en tenir compte. J’assume tout cela dans un discours de vérité.
Arrêtons de dire à la jeunesse : vous êtes la génération qui n’a plus le choix, celle pour qui tout est déjà joué, car ce n’est pas la vérité. Le monde qui nous attend, les jeunes en seront les architectes et les acteurs. Oui, l’avenir est lourd de menaces. Mais si nous savons le maîtriser, l’orienter, le civiliser, je vous dis qu’il peut être, aussi, magnifique de promesses : le progrès technologique, la diffusion du savoir, l’amélioration des communications, les avancées de la médecine, le recul de la maladie. La jeunesse est une chance, non une charge. Il faut compter sur elle plutôt que sans elle. Il faut construire avec elle plutôt que lui faire la leçon. La société du kärcher ou du martinet, à qui fera-t-on croire qu’il s’agit là d’un choix mobilisateur pour la jeune fille ou le jeune homme qui votera l’an prochain pour élire le chef de l’Etat et qui démarre dans la vie ? Je propose la croissance durable par l’innovation, par l’éducation et par l’engagement public. Je propose de lutter contre les excès de la mondialisation. Je propose de refaire France par une République nouvelle. Je propose une volonté politique forte pour construire une France solidaire, confiante et rayonnante.
On me demande parfois comment je tiens bon face aux attaques. Je tiens bon parce que je sais que nos idées sont justes. Parce que je me sens en accord avec le projet qui est le nôtre, avec vous toutes et vous tous et avec notre peuple. Je tiens bon parce que j’ai envie d’agir pour mon pays et pour le changement. Parce que j’ai toujours donné le meilleur de moi-même dans les tempêtes, face aux bourrasques, plutôt que par temps calme et par mer plate. Je tiens bon parce qu’à la fin des fins, c’est la détermination qui fait la différence.
Non, il n’y a aucune fatalité du déclin. Oui, la France n’est pas seulement l’addition de territoires et de communautés dans une Europe qui stagnerait et dans un monde qui lui échapperait. Elle peut, elle doit redevenir une grande nation, plus grande qu’elle-même, généreuse, créatrice, entraînante. Oui, la République et la France ont perdu assez de terrain. Il est temps que le vent du changement se lève. Il est temps de réussir le changement ensemble.
Vive la République ! Vive la France !