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CHARLIE N'EST PAS VAULX.

Publié le par Stéphane GOMEZ

Il y a 2 ans, après les terribles attentats de début janvier, qui frappaient quasi simultanément des journalistes et des salariés de Charlie Hebdo, des policiers et des consommateurs d'un supermarché casher, je répétais à des journalistes et à d'autres qui m'interrogeaient sceptiques, que « oui, Vaulx est Charlie », Vaulx l'était pour ce que portaient ces attentats pris dans leur ensemble (des policiers tués parce que policiers, des journalistes parce que journalistes, des individus parce que juifs ou supposés comme tels) et pris dans leur point d'entrée, l'attentat précisément contre Charlie Hebdo.

 

Vaulx-en-Velin était et est Charlie, comme ailleurs dans la spécificité de ce qu'est cette ville, avec une population en partie aux marges de nos institutions, victime (dans sa moyenne) de discriminations sociales et culturelles et qui donc en retour (et à tords) ne se mobilise plus ou peu pour ce qui fait le droit commun de notre nation (élections, manifestations sociales,…). Une ville de politiques d'exception pour reconnaître que les codes républicains sont troublés ou confus, qu'il faut donc les rétablir. Dans ce contexte, on peut comprendre que la particularité nécessaire de la provoc' façon Charlie soit moins ou moins bien perçue qu'ailleurs, mais on ne peut pas dire qu'elle n'est pas perçue comme ailleurs.

 

Cette tempérance ne permet pas de dire ou de croire que Vaulx-en-Velin n'a pas été Charlie. Lors de la manifestation nationale, des Vaudais étaient présents en nombre (plus, moins qu'ailleurs ? Si quelqu'un a une source sérieuse pour le chiffrer, qu'il me la communique) ; lors de l'hommage improvisé en quelques jours aux pieds de l'hôtel de ville nous étions plusieurs centaines ; tout ce qui pendant des jours a porté un « Je suis Charlie » n'a pas été dégradé. J'ai porté un badge « Je suis Charlie » pendant quelques semaines et on ne m'a pas insulté ou menacé.

 

Vaulx était Charlie, mais le dernier numéro de la revue satyrique nous dit à quel point aujourd'hui Charlie n'est pas Vaulx.

 

Depuis 2 ans, l'hebdomadaire continue, on comprend bien pourquoi, son combat contre l'islamisme, avec un travail d'analyse intéressant même si parfois surprenant (je pense par exemple à l'article qui glisse des connivences de la Gauche avec le totalitarisme d'Extrême-Gauche pour finir sur le totalitarisme islamiste et un règlement de compte perso « 2 ans après » avec Le Monde Diplo et consorts). Certains disent que c'est une obsession maladive post-traumatique, suicidaire ou inutilement provocatrice. Je ne rentrerai pas dans ce débat : cela appartient à la liberté d'expression d'un journal, que nul n'oblige à acheter ou lire, et qui peut être sanctionné dans le cadre de l'état de droit si on estime des abus. Le ton critique et provocateur de Charlie Hebdo est dans son principe nécessaire à notre fonctionnement démocratique, quand bien même ou surtout parce qu'on n'est pas d'accord avec tous ou certains articles.

 

Le dernier numéro réserve cependant pour moi une certaine surprise. On y parle de Vaulx-en-Velin et on en parle d'une étrange manière, à mon sens.

 

Le sujet de l'article est la laïcité. Très bien, je suis laïque, laïcard disent même certains. Mais, première surprise surprenante en lisant l'article, derrière ce thème de la laïcité, l'article passe dans un confus amalgame qu'aurait du mal à renier Marine LE PEN de l'immigration à la délinquance, de la délinquance à l'islam radical, de l'islamisme à l'incivilité, de l'incivilité à l'intégration, de l'intégration à l'immigration. Tout cela tourne en boucle, de manière assez malsaine pour moi. Il y a des liens entre ces différents sujets, mais ils ne forment pas une réalité unique, encore moins sous le chapeau de la laïcité…

 

Sans revenir sur l'ensemble, je m'arrêterai sur la partie vaudaise. Et déjà, la forme m'interroge sur la partie consacrée à « l'un des quartiers de Lyon » : les autres communes traitées ont droit à des personnes clairement identifiées (souvent des élus) : on est d'accord ou pas avec elles, au moins on sait qui s'exprime, à quel titre, et chacun est en droit de contester ou approuver leurs propos ; cela crédibilise d'autant les témoignages anonymes qui les accompagnent (les petites gens, même chez Charlie, on peut se contenter de les prénommer, finalement…). Pour Vaulx-en-Velin, les 2 témoignages sont ceux de « Sélim » « journaliste et fin observateur de la vie lyonnaise » et « Alain » professeur avec un « prénom d'emprunt ». Ce Sélim n'a pas de nom ? En tant que journaliste « fin observateur », il doit bien avoir l'habitude d'être publié ? Alors pourquoi cet anonymat ? Est-il un journaliste qui vit à Vaulx ? Qui travail sur Vaulx ? Charlie vient d'inventer le journaliste qui cite le journaliste anonyme ! Et cet « Alain », il est professeur à Vaulx-en-Velin ou un professeur qui vit à Vaulx-en-Velin, s'exprimant en tant qu'habitant ou comme salarié ayant usager superficiel de la commune ? Est-on dans une telle violence à Vaulx-en-Velin qu'on doive avoir un prénom d'emprunt ?

 

Une fois qu'on s'est interrogé sur cette manière surprenante de témoins anonymes et dont on peut douter des qualités à s'exprimer, on peut rentrer sur le contenu d'un passage qui s'appuie sur une présence sur un seul quartier de la ville (sic) de « quelques heures à peine » (re-sic). Je n'ai pas forcément envie en fait de trop m'y appesantir : tout le développement est entre « eux » et « nous » ; tout est basé sur une vision bipolaire dans laquelle « eux » auront toujours le tord de ne pas être assez « occidentalisés » (le mot revient 2 fois dans le passage sur Vaulx-en-Velin!), « eux » étant de nouveau dans le même amalgame les immigrés, les trafiquants, les islamistes selon le moment du développement !

 

On ne pourrait plus au marché du Mas être une femme « occidentalisée » (c'est-à-dire ? Une Caucasienne ? Une femme arabe ou musulmane -si une différence est encore faite dans l'article entre les 2- bien intégrée ? Bien assimilée?) ?! Euh… sérieusement, il est déjà venu le fréquenter le marché du Mas, ce monsieur, pour ce permettre une telle affirmation aussi réductrice que fausse ? Ben non, justement ! Le « journaliste » nous explique qu'il s'est senti mal à l'aise lors de ses quelques minutes seulement sur le marché du Mas ! Et ?… Quel scoop ! Son ressenti en quelques minutes de présence devient un élément d'analyse ?!

 

Bon, sérieusement, n'en disons pas plus ! J'ai beau retourner le sujet dans tous les sens, je ne vois pas l'interêt, le sens ou l'opportunité de la prose qui nous a été déversée. Cet article en général et ce passage vaudais en particulier est un concentré de poncifs et d'amalgames douteux qui vont finir de convaincre certains mais certainement pas être utile au camp des démocrates, des humanistes, des laïques. Il n'est pas pour eux une alerte, ce n'est même pas un coup d'épée dans l'eau, c'est une arme pour leurs propres adversaires ou ennemis. Un article ne doit pas être « utile » ? Celui-là le sera pourtant pour certains… Un article doit rapporter la réalité des situations ? Cet article ne le fait pas, justement ! Vaulx-en-Velin est bien autre chose qu'un territoire de non droit dans lequel seul l'anonymat permet de s'exprimer…

 

En guise de conclusion, je voudrai donc rassurer celles et ceux qui doutent, à Charlie et ailleurs : à Vaulx-en-Velin, le front républicain tient très bien. Il tient d'autant mieux qu'il n'est pas plus menacé qu'ailleurs. Notre ville souffre de tous les difficultés et dangers dont souffrent notre pays, notre Nation. L'histoire et la situation sociale de notre commune font que leurs expressions y sont souvent plus prononcées qu'ailleurs. Je n'en ignore rien ou presque. Mais à Vaulx-en-Velin on vit, et on vit bien, quelque soit son âge, son genre, ses croyances partisanes et philosophiques, son orientation sexuelle,... Vaulx-en-Velin n'est pas un territoire perdu de la République, peuplé de marginaux en marge de notre Nation.

 

À celles et ceux qui en doutent, je propose de les accueillir avec d'autres (qu'ils choisiront : qu'on ne dise pas que je veux ré-organiser des visites Potemkine!), pour autre chose qu'un reportage « de quelques heures » à partir de témoignages anonymes (j'ai toujours l'habitude d'assumer mes propos, y compris quand je parle de la ville où j'habite et de mes concitoyens avec lesquels je vis et qui peuvent directement me demander des comptes). Je ne cacherai rien des difficultés de la ville et de ses habitants, j'espère qu'en retour ils ne cacheront rien de ses réussites, de nos joies et de nos espoirs.

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